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« Achab (séquelles) » de Pierre Senges.

Achabil y a toujours une rive, quelque part, pour permettre à un survivant de faire le récit du naufrage.

De même qu’on ne connait de Moby Dick qu’un (ou une) Moby Dick chassé(e) par un certain Achab, on ne connaît d’Achab qu’un Achab obsessionnel chasseur d’une baleine. Ni avant Péquod, ni après épisode mammifère marin, ni Achab enfant tétant le sein maternel, ni Achab vieillard contant ses pérégrinations au coin d’un feu allumé pour ce faire. D’aucuns prétexteront que la dernière vision rapportée d’un Achab crucifié sur le dos d’une baleine blanche avant que celle-ci ne plonge sous les flots ne plaide pas en faveur d’un « Achab après Moby Dick », d’autres que la crainte et le respect qu’il inspire aux marins du péquod ne s’accommodent que fort peu d’un Achab au hochet. Et pourtant! Ne passerait-on pas à côté de l’essentiel? Car, pour celui qui n’est présenté que comme l’outil de sa propre obsession baleinière, n’est-il pas précisément judicieux de chercher ce qu’il fut avant et après? Et de se poser cette question universelle : qu’est ce qu’une vie dépourvue de cétacé?

la permanence des choses n’est plus une dérisoire forme d’éternité, elle est l’insistance nécessaire afin de mettre au jour, allez savoir, des vérités ignorées jusque là à notre corps défendant, mais qui, c’est à parier, ne nous rendront pas meilleurs.

On apprend ici (merci Pierre Senges) qu’Achab fut liftier, prêtre, comédien, qu’il rencontra (de bien des manières) Francis Scott Fitzgerald, Fred Astaire, Melville (himself), ou Orson Welles, qu’une baleine, de chassée peut devenir inépuisable chasseresse, et l’on répond précisément et entre autres aux questions suivantes :

– Que manque t’il à un ascenseur pour être un véhicule?

– Où poser son regard dans ce même non-véhicule bondé?

– Quel « to be » et quel « not to be » exprimer dans le fameux « to be or not to be »?

– Comment survivre münchlausennement?

le retour des mêmes paroles est l’amélioration des paroles de la veille

Toute littérature est palimpseste, ornement, commentaire, et commentaire du commentaire. Plutôt que prétendre y ajouter, comme en douce, l’air de rien, une pierre à une construction, Pierre Senges sculpte à même l’édifice. Nulle feinte ou prétention d’achèvement chez lui, juste une littérature qui s’affirme comme reprise et reprise de reprise et reprise de reprise de reprise. Une drôle, subtile et – ô combien! – jouissive arabesque.

quand la baleine se pique à un oursin, la douleur est si lente à traverser son corps immense, elle lui parvient sous forme de nostalgie.

Pierre Senges, Achab (séquelles), 2015, Verticales.

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