« Atelier Albertine » de Anne Carson.

 

On ne compte plus les livres qui ont été écrits sur Proust. Que leurs auteurs s’intéressent à un point particulier de La Recherche, à un personnage, à un « thème » précis, ou qu’ils cherchent à l’aborder par un filtre extérieur qui l’engloberait tout entière, soit ils prétendent y « coller », soit ils disent s’en « inspirer ». Il s’agit d’expliquer ou de divaguer. L’un ou l’autre. Comme si le respect voué à l’oeuvre y cloîtrait irrémédiablement et celui qui cherche à la comprendre et celui qui désire y trouver des matériaux pour autre chose.

sur la différence entre métaphore et métonymie.

Puisque la question a été soulevée, voici la différence : on a demandé à un groupe d’enfants de réagir au mot « hutte », et certains ont répondu « une petite cabane », d’autres ont dit « elle a brûlé ». […] Maintenant que j’y repense, la différence entre « une petite cabane » et « elle a brûlé » n’éclaire absolument pas cette histoire de métaphore et de métonymie. Mais cela souligne néanmoins la fragilité de l’aventure de la pensée. Le jour où j’ai décidé de comprendre une bonne fois pour toutes la distinction entre métaphore et métonymie, je suis allée en bibliothèque, j’ai demandé tout un tas de livres, j’en ai lu différents passages, pris quelques notes éparses sur des bouts de papier et suis rentrée chez moi, en espérant mettre au propre mes notes le lendemain. Le lendemain, parmi mes notes, qui entre-temps étaient devenues désorganisées et inintelligibles, j’ai trouvé cette « petite cabane » obsédante et exemplaire qui a peut-être « brûlé ». Et bien que je fusse incapable de me rappeler son contexte, ayant négligé de noter sa source et ne voyant pas vraiment sa pertinence avec la métaphore et la métonymie, la « petite cabane » m’implorait de ne pas l’abandonner. Elle demeure un très bon exemple, mais de quoi, nous l’ignorons.

Anne Carson s’intéresse bien ici à Albertine, le personnage de la Recherche. Le nombre de fois où son nom est cité dans le roman. Le nombre de pages où elle est présente. Son lesbianisme. Son rapport au mensonge. La possibilité que son personnage, par la grâce du procédé de transposition, ait été l’occasion pour l’auteur d’inscrire dans l’oeuvre Alfred Agostinelli, l’amant décédé dans un accident d’avion. Mais aussi, au fur et à mesure même que Anne Carson parait s’approcher au plus près du personnage d’Albertine, et donc du roman de Proust, elle parait également s’en éloigner. Comme si la rigueur pointilliste de son analyse nourrissait quelque chose de tout à fait autre. Comme s’il ne s’agissait in fine, par l’entremise de la lecture scrupuleuse d’un de ses personnages, que de sortir de l’oeuvre, la parasiter. Comme si lire, dans toute l’acception la plus précise du terme, était précisément cela : parasiter. Comme si Albertine devenait la métaphore/métonymie d’une oeuvre, que l’oeuvre devenait la métaphore/métonymie de quelque chose d’autre. On ne sait trop quoi. On sait juste que c’est beau.

Anne Carson, Atelier Albertine, un personnage de Proust, 2017, Le Seuil, trad. Claro.

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