« Au bord des fleuves qui vont » de Antonio Lobo Antunes.

 

Au bord des fleuves qui vonttu es le M.Antunes du lit numéro onze.

Le personnage principal (mais y en t’il seulement un et qui est-il?) est « invité » à séjourner dans un hôpital lisboète suite à une suspicion de cancer.  Une « bogue » que les médecins vont chercher à identifier et soigner en apaisant les douleurs qu’elle provoque.  Chaque chapitre du roman épousant une journée de l’hospitalisation qui s’étendra du 21 mars 2007 au 4 avril de la même année.

une espèce de rêve tout à la fois désarticulé et précis.

A chaque jour, à chaque douleur nouvelle, à chaque découverte  qu’implique cette crainte de mourir va s’accoler un souvenir, une réminiscence qui, brièvement, va affleurer à la conscience du « malade », avant de disparaitre et de revenir à nouveau légèrement modifié.  Le grand-père, l’agonie d’un père, des huit à vélo autour d’un châtaignier, les souvenirs d’une précédente hospitalisation, une balle de tennis, la recherche de la source d’un fleuve, une jeune femme blonde, un certain Virgilio; sa conscience, parfois modifiée par les souffrances ou les médicaments, se meuble d’un monde qui fait fi du temps et de l’espace.  Une conscience qui semble tout emmêler, mais dont les retours fidèles à certains pans élaborent peu à peu une lisibilité de celle-ci.  Comme si, du flot houleux de sa mémoire venaient toujours émerger les mêmes récifs, chaque fois dévoilant une autre de leurs parties, en fonction des marées, des vents et, de la capacité de l’œil à les percevoir.  Se fixent alors sur la rétine, marée après marée, des images toujours différentes et qui ne trouvent à signifier qu’en se complétant, peu à peu, dans le cerveau de qui regarde.

Il entrait et sortait de son corps dans une vapeur de souvenirs tronqués.

Ce que traduit ici génialement l’auteur (dire de Lobo Antunes qu’il est un génie n’est pas de l’ordre de la dithyrambe mais de l’état de fait), c’est cette impression du seuil de la mort.  Non pas le seuil lui-même, mais bien son impression, la seule pensée que la mort puisse survenir.  Celle-ci (mêlant peur et résignation) unifiant le temps, faisant survenir dans des instants communs les divers évènements d’une vie, faisant coïncider enfance et vieillesse et laissant, enfin, libre cours à l’envahissement de notre existence par d’autres existences.

d’autres mondes existent-ils en nous et s’ils existent qui les habite

Lire Antunes est souvent assimilé à un exercice complexe.  Or, et en cela l’expérience de qui est ici alité est très proche de celle du lecteur, la lecture du génial Portugais ne nécessite que de la confiance.  Comme Antoninho? ou M.Antunes? ou l’occupant du lit numéro onze? se laisse aller presque mécaniquement à ses souvenirs comme aux soins qu’on lui prodigue, le lecteur ne doit que lire, dans l’acception la plus mécaniste du terme.  Il doit juste accepter d’aller d’un écueil l’autre, d’une pointe de sens à une autre pointe de sens, sans s’occuper de « comprendre ».  Car de ce tout nimbé d’incompréhension que forme chaque roman de l’auteur de Lisbonne surgit toujours (et c’est ce « toujours » qui, précisément, fait de Antunes un génial démiurge) un sens renouvelé.

je ne peux pas croire qu’il n’y ait pas de trains au départ ni que les grappes pourrissent bien dans la vigne, je ne peux pas croire qu’il me faille mourir, j’admets les couches, la sonde, les douleurs, la bogue mais ça n’a pas de sens que je meure et comme ça n’a pas de sens je reste, même si

-Il est décédé

je reste, même si je ne respire plus, même si le sérum fermé et la ligne plate sur l’écran je reste

Antonio Lobo Antunes, Au bord des fleuves qui vont, 2015, Christian Bourgois, trad. Dominique Nédellec.

Les sons ci-dessus sont tirés de l’émission Temps de Pause sur Musique 3.

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