« Awat’ovi » de James F. Brooks.

En l’absence des européens, l’histoire ne fait pas du surplace.

Le Hopi est gentil… Si cette affirmation, construite sur la conjonction de l’imagerie populaire, de raccourcis sémantiques et d’une certaine complaisance pseudo-savante, est pour beaucoup devenue une irréductible évidence,  aussi péremptoire que tenace, elle est cependant fort loin de coller à la réalité. Pour preuve, l’annihilation, lors d’un jour d’automne de l’an 1700, du village fortifié hopi d’Awat’ovi par des indiens eux-mêmes Hopis. Les hommes furent systématiquement massacrés ainsi qu’une partie des femmes et des enfants. Les survivants furent répartis entre les différents pueblos. Les ruines incendiées furent proclamées zones interdites. Aujourd’hui encore, cette tuerie de masse hante les conscience du « Peuple de la paix ».

Le présent perturbe les fantômes du passé.

Alors que nos certitudes procédurales ou épistémiques pousseraient beaucoup à analyser ce cas particulier selon le cadre bien précis qui a déjà fait ses preuves appliqué à des cas « similaires » de « l’histoire occidentale », James F. Brooks semble avoir compris d’emblée que saisir ce fait dans toute sa complexité ne se pouvait qu’en se défaisant des grilles d’analyse habituelles. Ainsi le maelstrom de raisons pratiques qui aurait paru, de l’extérieur, rendre compte pleinement de cet accès de violence – une pression migratoire, des désordres climatiques, des rapports contrastés au colonisateur blanc, etc… – paraissent très rapidement ne pas suffire à l’expliquer. Très certainement, le génocide n’aurait pas eu lieu si ne s’étaient pas greffées aux conditions pratiques directement objectivables des modalités (pour nous) très particulières de leur réception.

Nous nous servons du passé pour mieux comprendre notre présent. Maintenant, inversons les choses. Et si notre présent était déjà actif dans notre passé? Et si notre présent n’était rien d’autre qu’un passé déjà écrit? Ce tourbillon des causes et des effets, des effets comme cause, non pas linéaire mais cyclique, distinct du temps occidental, permet de saisi plus précisément la façon dont nombre de Hopis comprenaient (et comprennent encore) la ruine du pueblo d’Awat’ovi.

Le fait de penser ce qui est advenu, advient ou va advenir non plus linéairement mais de façon cyclique impose à celui qui vit l’histoire une relation bien différente à celle-ci. Ainsi une prophétie, une fois prononcée, ne s’accomplira-t-elle pas nécessairement indépendamment des actions que pourront mener ceux qui l’auront entendue mais parce que ces derniers s’y seront investis. Ainsi une crise, souvent, ne pourra-t-elle être résolue que si elle est portée, quoi qu’il en coûte, à son point de rupture. Ainsi, aussi, les causes d’un événement s’enchevêtrent-elles inéluctablement à ses conséquences.

En explorant, grâce à toutes les sources disponibles, les « raisons » qui ont aboutis au passage à l’acte, James F. Brooks fait bien plus que détailler un fait notable de l’histoire d’une peuplade amérindienne. Non seulement il nous offre une véritable – et passionnante – leçon d’anthropologie. Mais, aussi, comme par la grâce d’un subliminal effet-miroir, il nous invite à regarder attentivement comment un autre, ici le Hopi, a pu penser et organiser, à travers ses systèmes de références propres, ses rapports aux autres. Pour le meilleur et pour le pire…

James F. Brooks, Awat’ovi, l’histoire et les fantômes du passé en pays Hopi, 2018, Anacharsis, trad. Frantz Olivié.

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