En déplacement fin de semaine passée et fort peu pratiquant des pages « lifestyle » des « grands » quotidiens belges, nous n’avions pas vu passer des informations importantes. Un informateur sagace* nous informa de nos coupables défaillances.
Résumons : la semaine dernière (le 19 septembre) ouvrait à Bruxelles, sur l’un de ses grands boulevards, un « Apple Store », à grands renforts de publicités, de médias n’ayant rien d’autre d’essentiel à traiter, de trépignements, de files et d’attente transie. Chaque commentateur (le nouveau terme pour « journaliste ») y allant de son anecdote (le nouveau terme pour « journalisme »), de l’estimation de la longueur des files, du bon mot consacrant l’obstiné ayant opiniâtrement patienté le plus longtemps devant les portes du nouveau temple et de la surenchère qui consacre un peu plus à chaque excès une mécanique médiatique tournant à vide. De reportage en direct en reportage en direct, on pu ainsi suivre « live » l’évolution de l’ouverture de l’enseigne de la « marquàlapom ». Il se fait que le même jour, un peu plus loin sur le même boulevard, une autre file se déployait devant l’entrée de la librairie « Filigranes », auto-proclamée plus grande librairie de plain-pied du monde entier. Et que celle-ci – la file – était bien plus conséquente que celle suscitée par la multinationale (3000 vs 500, paraît-il). Ce dont certains des libraires y travaillant se permirent de se vanter en postant sur les réseaux sociaux un film montrant l’ampleur de leur file respective introduite par un » Hey Apple store Bruxelles, Tu veux savoir ce que c’est une vraie file? ». L’information, capitale, étant bien entendu reprise par une presse toujours plus satisfaite de pédaler dans la semoule du rien.
Avouons le tout de go : qu’une librairie, fût-elle concurrente ou immensément plain-piednesque, puisse se gausser d’une multinationale, et ce sur son propre terrain, cela n’est pas pour nous déplaire! Car, bien entendu – enfin, on croit, hein -, il ne s’agissait pas uniquement de se moquer dans le chef des grands libraires, mais de rappeler, par cet exemple, certains principes fondamentaux dont le libraire – à fortiori grand et de plain-pied – se veut le garant :
- N’est-il pas indécent de consacrer un temps d’exposition médiatique aussi important à un événement qui consacre un fétichisme délétère? (à propos, un livre sort ces jours-ci chez Agone rappelant le coût humain d’un iphone)
- Le cap de l’indécence supportable n’est-il pas franchi quand la presse expose le fait de cette file en obédience au commerce sans même prendre le temps de se questionner sur son obscénité, alors que de l’autre côté du centre de cette même ville, une autre file, de réfugiés syriens, patiente devant les grilles de l’Office des étrangers?
Alors certes, certains mauvais esprits nous diront que the worldbiggestequalfootingbookshop cherche tout simplement à faire parler de lui, qu’il n’oppose la longueur de sa file que pour renchérir sur un événement qu’il jalouse. D’autres, encore plus perfides, nous feront remarquer que la file filigranienne était en fait constituée de jeunes nubiles gloussant délicieusement dans l’attente de faire signer le dernier livre de Enjoyphoenix, blogueuse de son état, et que tant qu’à faire la file pour un fétiche, autant que ce dernier ne ressemble pas à une pouffiasse blonde. Et tous de nous chanter en chœur que cette moquerie du mégalibraire ne s’éloigne pas du premier degré de la vantardise bèbète et qu’elle n’est rien d’autre que ce qu’elle paraît être : une stupide moquerie…
Peut-être. Peut-être. Mais en attendant, les plus grands libraires de plain pied du monde nous rappellent ces deux adages – connus et célébrés depuis la cour d’école :
- Tout le monde peut se moquer gratuitement. Même un libraire!
- Qu’importe le but à atteindre (une pouffiasse, un écran, un permis de séjour), ce qui compte, c’est d’avoir la plus grande!
*il va de soi que nous ne donnerons jamais le nom de notre informateur. A fortiori s’il s’agit d’un membre de la WBEFB. Et s’il devait en faire partie, nous ne vous en informerions pas non plus. Nous avons, nous aussi, notre déontologie.
