« Contre l’allocation universelle » – Collectif.

L’allocation universelle est à la mode. Que ce soit dans notre cher royaume, outre-Quièvrain ou ailleurs en Europe et dans le monde, nombre de politiques, d’associations, d’économistes se sont saisis des possibilités qu’ils voyaient dans ce mécanisme. Quelles qu’en soient les modalités exactes – et très diverses d’ailleurs -, le dispositif vanté est basé peu ou prou sur le même principe : on rassemble les montants de cotisations diverses perçues par certains (allocation d’invalidité, de chômage, familiales, etc…) et on redistribue le tout sous forme d’une allocation unique et égale pour tous, indépendamment de l’âge, de la fonction, du statut, du sexe, etc… L’allocation en question devant être suffisante pour subvenir aux besoins de chacun.

Comme toute mesure censée résoudre pas mal des inconvénients aux systèmes actuels, et cela d’autant plus que cette résolution est présentée comme venant les résoudre mécaniquement, par la seule grâce de sa mise en oeuvre, elle reçoit aujourd’hui facilement un accueil large et enthousiaste, faisant parfois même fi d’ancestraux clivages. Mais comme toute mode, l’assentiment qu’elle reçoit ne va pas sans son lot d’ignorance.

L’ouvrage collectif qui nous occupe à comme mérite de revenir sur ce qui peut se loger sous le vernis de l’évidence. Une mesure économique, comme celle prônant l’institution d’un revenu universel, n’est jamais neutre. Elle a toujours une histoire. Elle est toujours sous-tendue par des forces, des idées, des idéologies, des motifs, qui l’abreuvent, et dont en dessiner la généalogie permet d’en faire déceler, pour partie, les failles ou les dangers. Vantée aussi par des milieux traditionnellement « de droite », par des politiques libertariens, des grands chefs d’entreprise, cette mesure a autant à voir (voire même plus pour les auteurs) avec des thèses néo-libérales qu’avec des idéaux traditionnellement « à gauche », où elle séduit pourtant très largement. Actuellement souvent et inconditionnellement bannière « de la gauche progressiste » – alors même qu’elle devient quasi consensuelle -, en rappeler l’ancrage aussi libéral, n’est pas sans intérêt et invite à mieux en discerner les tenants et aboutissants. Mais ce petit livre ne se contente pas de faire la généalogie de la mesure. Il en aborde brièvement, selon ses auteurs, les dangers. Déliquescence de l’état social, perte des repères traditionnels de « classe », floutage des frontières entre capital et travail, substitution de l’idéal égalitaire par une pragmatique lutte contre la pauvreté, les conséquences possibles d’une telle disposition ne sont pas à négliger. D’autant que ces risques, d’autant plus benoîtement acceptés qu’ils sont superbement ignorés, paraissent radicalement antinomiques aux positions traditionnellement défendues par « la gauche ». Piqûre de rappel aussi douloureuse qu’utile.

Mais si les auteurs parviennent à convaincre de l’importance qu’il y a à ne pas laisser un projet dans le vague de l’acquiescement général, ils restent malheureusement collés à une grille d’analyse exclusivement idéologique. Ainsi leur rejet de l’allocation universelle n’est-il nourri, in fine, que par la nécessité qu’ils ressentent à toujours pouvoir disposer des critères de discernement clairs et stables qui fondent leurs opinions. Il y a d’un côté « la droite », de l’autre « la gauche ». Il y a d’un côté le travail, de l’autre le capital. Il y a d’un côté la lutte contre la pauvreté, de l’autre l’idéal de l’égalité. Toute tentative amenant peut-être à gommer ces clivages serait forcément, soit malhonnête si elle est consciente, soit stupide si elle ne l’est pas. Mais dans les deux cas, elle est à combattre. Indépendamment de ses effets pratiques. L’allocation universelle n’est ici à bannir qu’en raison de ses causes prétendument certaines, non de ses conséquences possibles. C’est parce qu’elle est selon eux nourrie au sein de l’honni néo-libéralisme qu’elle est à proscrire absolument, non parce qu’elle serait irréalisable ou aboutirait de facto à une situation pire qu’avant. La seule suspicion (qui vaut ici preuve) d’avoir germé « chez l’irréductible ennemi » suffit à faire l’économie d’une analyse pragmatique et circonstanciée de ce qui n’est, finalement, qu’une disposition pratique. Comme si, se perchant sur d’antiques antiennes, il s’agissait avant tout et malgré tout d’être contre.

Entre l’idéologue forcené et l’idéaliste béat, il reste largement la place pour comprendre.

Mateo Alaluf, Daniel Zamora, Seth Ackerman, Jean-Marie Harribey, Contre l’allocation universelle, 2017, Lux.

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