« Délai de grâce » de Adelheid Duvanel

Née à Bâle en 1936, Adelheid Duvanel eut une vie marquée par les épreuves. Très tôt diagnostiquée schizophrène, internée, traitée à l’insuline et aux électrochocs, elle dut encore affronter la toxicomanie de sa seule fille, puis le décès de celle-ci dans les années 80. En 1996, par une nuit de juillet exceptionnellement froide, elle est trouvée en état d’hypothermie par un cavalier dans une forêt non loin de Bâle. Elle avait absorbé une grande quantité de somnifères. Elle mourra le 11 juillet.

Toute petite déjà, Adelheid Duvanel écrivait de très courts textes, assortis de dessins, qu’elle lisait à ses frères et sœurs. Malgré la douloureuse tragédie que fut sa vie, elle n’eut de cesse d’explorer et d’explorer encore la forme courte. Jusqu’à lui créer un écrin radicalement neuf. Peu lue de son vivant, son oeuvre fait aujourd’hui l’objet d’une véritable redécouverte.

C’est étonnant comme un mouvement de paupières efface le monde entier.

Chacune des très courtes proses qui composent Délai de grâce met en scène un personnage « différent ». Une enfant attardée lors de la rentrée des classes. Une jeune femme dont les parents ont obtenu la garde de sa fille. Un vieil homme dans un hospice. Un SDF. Tous sont ce que l’on pourrait nommer des êtres dérangés, radicalement autres, des « inaptes à la vie » dont le seul maintien dans le monde qui les entoure tient du défi permanent ou du miracle.

Grolo voulait acheter des cartouches pour son stylo à encre, mais le mot « cartouche » ne lui revenait pas à l’esprit, aussi écrivait-il au stylo à bille.

En une page, une page et demi, rarement plus, Adelheid Duvanel parvient à nous enserrer dans ces vies bancales et à nous les rendre proches. Et, en nous permettant de percevoir l’équilibre fragile qui les rend malgré tout possibles, elle nous renvoie subtilement à nos propres tâtonnements. Maîtresse incontestée de la forme courte, elle est parvenue à conjuguer dans un même espace tout à la fois étrange, facétieux et bouleversant, l’extraordinaire originalité du regard « différent » (qu’il soit celui de l’enfant, du « dérangé » ou du rêveur) et la rigueur pointilliste d’une conteuse hors pair.

Chacune de ces histoires forme un monde en soi. Une monade. Tout y est. Rien n’y manque. Elles sont comme des petits cercles dessinés à la main. Des petits cercles hésitants, délicats, qui entourent quelque chose. On ne sait pas toujours bien quoi. On sait juste que c’est infiniment précieux.

La fin était toujours en même temps un début. Il n’y avait pas de droites, il n’y avait que des cercles. Elle ne peignit plus dès lors que des cercles.

Adelheid Duvanel, Délai de grâce, 2018, Vies Parallèles, trad. Catherine Fagnot.

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