Doucheflux. Pas de douche, pas de lingette!

ROBOT QUI ELECRTIGIEC’est le 24 décembre.  Vous êtes encore attablés.  Autour de vous sourient et palabrent tous les gens que la tradition a établis comme ceux devant être aimés par vous, en dépit des pires vacheries de l’oncle Untel ou du regard torve que vous lance depuis toujours tante Machin.  Les enfants, comme chaque année, ont parfaitement tenu leur rôle d’enfants : ils se sont égratignés férocement, se sont disputés la moindre miette de gâteau, se sont arrachés chacun les cadeaux rutilant de plastique (et peut-être de la sueur des mains pré pubères et lointaines qui y ont œuvré), avant de sombrer, exténués, dégoulinant de morve, les cheveux défaits, les habits uniformément tachés.  Tout cela sous le regard attendri des parents unanimes devant tant de belle innocence.   Vous êtes repus.  Tout baigne dans cette quiétude morne qu’on sait depuis toujours être l’annonce du pire, mais que vous n’avez, à ce moment, aucune envie de prendre pour autre chose que pour ce qu’elle semble être.  Délicatement bercé par l’illusion, et en cela un peu aidé par le vin de votre beau-père (aigre certes mais poliment efficace), vous vous surprenez à sourire à l’antédiluvienne blague sur les marocains-voleurs-de-mobylette que vous assène votre beau-frère, aussi hilare que son haleine est sure.  En un mot comme en cent : vous êtes bien.

Et puis, subitement (Est-ce l’haleine du commensal, ou l’odeur insistante des bougies sensées faire passer au second plan celle, pourtant entêtante, de la dinde dont on a, comme chaque année, méticuleusement gratté la carapace noircie juste avant de la glisser sur la table, qui vous ramène à votre vigilance olfactive?), subitement donc, vous portez vos doigts sous l’imposante éminence, qui à votre grand dam, depuis toujours et pour toujours (mais sans doute moins longtemps), vous sert de tarin.  Et là, vous humez le mélange des effluves de viande froide préalablement carbonisée, de mer, de raisin fermenté,  qui sont le versant odoriférant de tout ce que vous avez ingurgité bravement.  Et la corporéité de tout cela vous revient, comme un double soufflet appuyé sur vos joues pleinement rebondies et épanouies.  Vous sentez!  Et cette odeur, curieusement, vous fait honte!  D’un geste impatient, vous saisissez alors cette petite pochette que la prozacée mais attentive maîtresse des lieux a eu le bon goût de placer à côté de votre assiette.  Vous l’ouvrez, y plongez deux doigts malodorants, en sortez la lingette humide et citronnée que vous passez fébrilement sur les mains (surtout entre les doigts, où l’effluve, insidieuse, vicieuse, se dissimule le mieux).  Et vous espérez, secrètement, que ces aromes de citron (qui sont au truc jaune qu’ils sont sensés rappeler ce que Michel Onfray est à la philosophie), vous espérez donc que ces arômes viendront gommer cette odeur faite d’effluves mêlées.  Mais rien n’y fera!  La pestilence continuera, imperturbable, à imprégner vos muqueuses!  Car cette odeur, entêtante, n’est pas qu’une odeur.  Elle est votre culpabilité!

Tel est le sort auquel votre libraire vous a voué, vous qui n’êtes pas venu acheter durant le mois de décembre votre cadeau de pages et de mots dans sa modeste échoppe.  Vous qui, inconscient, déjà grisé sans doute par l’égoïsme festif, n’avez pas daigné verser votre obole à la propreté de votre prochain.  Vous le saviez pourtant, votre libraire vous avait bien prévenu, qu’il verserait 1 % de son chiffre d’affaire à Doucheflux, dont l’objectif est de permettre à tous la dignité de la propreté.  Vous le saviez!  Mais n’en avez rien fait!  Et c’est pour cela que votre libraire vous a maudit, vous condamnant à respirer à jamais l’odeur de ce repas.  Si le désarroi du démuni devant sa propre odeur n’a pu vous émouvoir, que celle de votre intempérance satisfaite et repue vous poursuive à jamais!  Pas de douches, pas de lingettes!

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