« En marge de Casanova » de Miklos Szentkuthy.

En marge de CasanovaEn marge de Casanova est le premier tome du Bréviaire de Saint Orphée, projet colossal que Miklos Szentkuthy porta de 1938 jusqu’à sa mort en 1988.  Tentative démesurée de dire le réel dans sa totalité, d’une érudition folle, le projet prenait comme socle, précisément, de n’en avoir aucun.  Mouvante, revendiquant le droit à la contradiction et au péremptoire, docte et grotesque, mêlant temps et lieu dans un maelstrom virevoltant, le Bréviaire est aussi une quête sans cesse remise en question d’un langage pour exprimer le réel.  Ce réel, qu’à défaut de chercher à dire, nous laissons peser sur nous.

En marge de Casanova est l’ensemble des notes qu’aurait pu prendre Miklos Szentkuthy à la lecture de l’œuvre de Casanova.  Un essai littéraire donc.  Mais qui se grossit de l’autobiographie de l’ogre de Budapest, qui se gonfle des interventions (réelles? fictives?) d’Abélard ou d’Alphonse de Ligure, qui s’enrichit d’une exégèse abyssale de l’œuvre du Tintoret…  Roman, essai, autobiographie, exercice poétique, hagiographie, chaque tome du Bréviaire est une tentative radicale de dépassement des contraires.  Et réalise génialement, pan après pan, l’une des œuvres les plus indispensables de la littérature.

Place à celui que nombre de ses lecteurs (et non des moindres) considéraient à l’empan de Proust, Joyce ou Rabelais…

C’est toujours de [l’imagination] que la réalité dépend.

Transformer le passé en objet de culte tient de la pire barbarie!

écrire un livre intitulé Il y a – lequel ne serait que le catalogue « sec » de tous les objets, sentiments, phénomènes et fables logiques composant le monde.

mon texte – ou prétendu texte – se voulant ici semblable aux anciennes partitions, lesquelles n’indiquaient que l’essentiel, abandonnant aux interprètes la tâche de l’exécution.

la chose la plus excitante pour un cerveau est la rencontre instantanée d’éléments hétérogènes au sein d’une constellation fortuite.

est pensée tout ce qui provoque une excitation physiologique peu ou prou indépendante de la conservation de soi ou de l’espèce.

Puisque la pensée m’apparaît comme la galaxie éternelle et toujours neuve des myriades de nuances que présente le monde, et puisqu’en premier et dernier lieu, je suis un penseur (et non un être vivant), il me faut fixer tant bien que mal cet amas stellaire, en le déformant certes, et en assumant pleinement les paradoxes et les vides stylistiques inhérents à toute description. La vraie réponse intellectuelle au monde ne saurait être mythe ou philosophie, roman ou essai ; ce sont là fictions isolées, nar­cissismes irrationnels, jeux ou – dans le meilleur des cas  – ­“tendres langueurs” selon l’expression propre à l’un des fils du vieux Bach. Non, la seule réponse, c’est la restitution pleine et entière de la vie, avec tous ses phénomènes vibratiles, ses chaînes d’associations infinies et ses millions de variantes mentales ! Qu’une telle approche puisse être taxée de « rêve romantique de la totalité » en dit long sur le mépris de nos contemporains… 

Saisis d’une incroyable cuistrerie de rongeurs, nous avons découpé l’amour en tranches sensuelles, psychologiques et morales.  Aujourd’hui, nous passons cahin-caha de la morale au corps et du corps à l’âme, avec les secousses du tortillard cahotant sur des bouts de rail mal ajustés.

L’aspiration à la totalité sera-t-elle toujours burlesque?

Il y a du libéralisme à Byzance, du cosmos hellène dans le gothique français, du juif en Dieu, du classiscime chez Freud, du bouddhisme au Portugal, etc. – l’Histoire reste et demeure le marché aux puces de toutes les perspectives!

Devant le Tintoret, j’ai assumé et déclaré divine cette sensiblerie universelle – et me suis promis de l’élever au rang d’une sainte logique!

Nous ne vivons pas pour l’art – jamais de la vie! – mais pour quelques grains de poudre abandonnés sur nos cravates!

Oui, seul le désespoir est à même de répandre sur cette terre la beauté divine, seule la mort conjugue la polychromie, seul l’enfer apporte le salut, seule la folie accède à l’intelligence, seule la maladie brille de mille éléments, seul le non-sens est méritoire – seul, enfin, le Mal peut fournir les contours d’un sujet!

est-ce le détail qui contient la vérité – ou celle-ci réside-t-elle dans l’essence?

Si le prochain existe, c’est faute de mieux

Miklos Szentkuthy, En marge de Casanova, Bréviaire de Saint-Orphée 1, Vies Parallèles, 2015, trad. G.Kassaï & Z.Bianu.

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