« Entrer dans une pensée ou Des possibles de l’esprit » de François Jullien

François Jullien, entre sinologie et philosophie, fait depuis longtemps oeuvre d’éclaireur.  Mais, contrairement au discours parfois porté sur lui, ce n’est pas uniquement la pensée chinoise qu’il se donne pour tâche d’éclairer.  Car plus exactement, cet éclairage n’est qu’une étape, un moyen et nullement une fin.  Jamais il ne s’engonce dans la fascination d’un ailleurs qu’il se donne alors pour tâche de défendre contre un ici.  Il éclaire moins la pensée chinoise ou l’hébraïque ou la grecque que le passage de l’une à l’autre.  En ce sens, ce nouvel opus peut être considéré comme une remarquable introduction à une oeuvre importante. 

Il prend comme point d’appui les commencements des trois traditions : la chinoise, l’hébraïque et la grecque.  Pour ce faire, il met en parallèle les premières phrases du Yi king (« Classique du changement »), du livre de la Genèse dans la Bible et de la Théogonie d’Hésiode.  On y voit s’exercer des « idées » du commencement qui sont radicalement différentes, et dont se démarque la singularité chinoise.  Là où l’occident pense par dualisme et causalité, l’orient pense par harmonie et processivité. 

La pensée chinoise n’est pas partie de l’opposition de l’Etre et du devenir, ou de la vérité et de l’apparence, comme le fait la métaphysique grecque; mais elle pense la capacité initiatrice investie dans la formation de tout procès, se développant en polarité, et qui va son chemin.

Mais surtout, là par quoi pense l’occident est conjugué, subordonné, etc…  tandis que là par quoi pense l’orient est l’idéogramme.  La langue, déjà, dans ses structures fondamentales, fait écart.  Et cet écart, rien, pas même la traduction enrobée de commentaires aussi savants soient-ils, ne vient le réduire de manière décisive.  Mais l’important est ailleurs car :

Lire du dehors, instruire un vis-à-vis entre pensées qui s’ignorent, faire travailler l’écart et jouer l’effet contrastif, c’est (…) faire apparaître les partis pris implicites, enfouis, non éclaircis, sur lesquels une telle pensée a prospéré.

Rien ne fait plus sens dans l’approche d’une pensée autre que le geste de quitter la sienne.  Pour entrer, il faut d’abord sortir. Il faut quitter l’espace rassurant de sa pensée, ses codes formant carcan.  Expérimenter son dehors.  Et c’est dans le creux de cet espace, de ce dehors auquel il se confronte que le penser véritable est possible, opérant.  Entrer dans une pensée donc et non comprendre.  C’est dans ces mouvements d’une pensée à l’autre, dans la confrontation de leurs dehors respectifs, que ce déploient les possibles de l’esprit.

François Jullien, Entrer dans une pensée ou Des possibles de l’esprit, 2012, Gallimard (Coll. Bibliothèque des idées).

 

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