« Fragments sur l’expression » de Aby Warburg.

 

Aby atlas

Toute organisation procède uniquement du fait que l’on se met sur un pied d’égalité avec la volonté d’un autre et obtient ainsi une direction constante pour la communauté.

Contrairement à ce que la forme fragmentaire suppose trop souvent, ces Fragments sur l’expression ne sont pas des restes ni des « pensées » éclatées dont le rassemblement en volume ne serait que la volonté d’un éditeur de laisser sa marque sur une oeuvre. Écrits entre 1888 et 1905, ils ont été rassemblés, annotés, ré-organisés par son auteur, non seulement au cours de leur écriture, mais aussi par après. Même s’il n’en organisa jamais la publication, Aby Warburg ne considéra donc jamais ces fragments comme des rebuts, des scories d’une réflexion qui, cette dernière ayant trouvé un terme, ne vaudraient plus par eux-mêmes.

La pensée de Warburg est, on le sait, d’une densité rare. Chercher à cerner ce qui se trame dans une image, non seulement au travers des gestes (conscients ou inconscients) de l’artiste qui l’a commise, mais aussi au travers de sa réception par un regard, tout cela, il le repensa dès les bases, à neuf, à blanc. Pourquoi exprimer quelque chose? Et en quoi, et comment, ces expressions trouvent-elles en nous des réceptacles près – ou non – à les accueillir, et les modifier? Ces jeux, incessants, entre le geste créateur et le regard qui le capte, l’un modelant l’autre dans un interminable pas-de-deux, ne pouvaient être saisis sans remettre en question fondamentalement tout ce sur quoi la pensée s’appuyait. Si déjà, donc, s’immerger dans cette pensée « aboutie » n’est pas toujours aisé, le langage qui la porte reculant, à force de précisions, les limites communes qui le bordent, plonger dans son élaboration est plus vertigineux encore.

(Le sapin soupire)

Par la comparaison, l’expression primaire

se sature

se comble

s’arrondit

se clôt                                            en une détermination du périmètre.

Constitués de souvenirs, d’impressions, de précisions toujours plus aiguës de concepts, de façons plus diverses aussi d’arriver à les exprimer sur la page, ces fragments, s’ils permettent d’approcher mieux la pensée rigoureuse d’un des plus grands penseurs du vingtième, permettent aussi d’en découvrir les errements, les hésitations, les vertiges, les gouffres – sémantiques, psychiques – dans lesquels elle s’aventure avant d’advenir.

Et c’est peu dire que le travail de l’éditeur est à l’unisson de son propos. Qu’il s’agisse dans la parole donnée au traducteur ou à celle qui établit le texte, dans le travail de composition, dans l’établissement du glossaire, tout fut organisé pour donner à lire en profondeur ce que ses fragments proposent vraiment d’irremplaçable : découvrir, avant qu’elle ne s’arrime à la clarté des buts qu’elle se donnait, une pensée originale se construisant. Comme si naissait, sous les yeux du lecteur, la pensée même.

Aby Warburg, Fragments sur l’expression, 2015, L’écarquillé, trad. Sacha Zilberfarb, établissement du texte et préface Susanne Müller.

Les sons ci-dessus sont tirés de l’émission Les Glaneurs sur Musique 3, produite par Fabrice Kada et réalisée par Katia Madaule.

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