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« Goldberg : Variations » de Gabriel Josipovici.

Goldberg variationsQuelle est la raison, à votre avis, qui fait qu’Homère décrit Ulysse comme un menteur invétéré?

Dans l’Angleterre georgienne, Thomas Westfield, gentilhomme anglais souffrant d’insomnie, engage Samuel Goldberg, écrivain juif d’âge mur, afin que celui-ci lui fasse la lecture jusqu’à ce que le sommeil le gagne.  Décliné en trente chapitres-histoires-fugues, Goldberg : Variations embrasse rien moins que la totalité.

Aucune chose n’était plus ce qu’elle était, elle était toujours un élément d’une série qui s’étendait en arrière et en avant à l’infini.

S’inscrivant dans un héritage littéraire d’une richesse plus reconnue que lue (Sterne, Homère, Les mille et une nuits), puisant à grands seaux dans la peinture, la musique, les religions (difficile de ne pas penser au Talmud) ou les mythologies , le projet de Gabriel Josipovici, s’il s’ancre bien dans une certaine forme de tradition, s’en émancipe par son ambition même.  Sorte de panorama presque exhaustif des formes que peut prendre la fiction, Golberg : Variations, tour à tour, déploie puis dévoile les moyens de son objectif.  Roman à tiroirs, mises en abymes, mise en doute de qui raconte, de ce qui est raconté, et même de qui lit, chaque exercice est ici pratiqué, puis décodé.

Il sentait son cœur se réjouir tandis qu’il avançait dans les bois par une belle matinée d’été, et il riait à voix haute du simple plaisir de sa joie, et alors d’un seul coup l’image de lui-même en train de rire et le son des mots il sentait son cœur se réjouir tandis qu’il avançait envahissait sa tête et éloignait le bonheur de son cœur et le rire de sa gorge.

C’est aussi cela que permet ce mensonge qu’est le roman.  Cette mise à distance, dans l’autre, qui est aussi indissociable d’une perception de soi (et de soi percevant), est une des possibilités les plus fortes, et vertigineuses, qui nous soit donnée pour nous éprouver nous même.  L’expérience de soi ne peut faire l’économie de la fiction.  Car elle seule peut nous faire goûter à ce vertige qu’est cette réalité : nous vivons aussi dans l’autre.  En ce sens, Gabriel Josipovici remet cet acte de mentir qu’est faire de la fiction au centre même de la nécessité de la vérité.  Etre vrai suppose mentir.

Ce ne sont peut-être que ceux qui n’ont que très peu de confiance en la vérité qui craignent, comme nous le faisons, le pouvoir indubitable des mensonges.

Jouant et se jouant de ses références et de ses métaphores dans un maelström éblouissant dont le lecteur final (vous en fait, c’est-à-dire un être lui-même tissé de fictions), s’il n’en sort jamais indemne, ne se sent jamais exclu, Golberg : Variations se lit comme une mécanique huilée, totale et géniale, fonctionnant et donnant du plaisir jusque dans ses moindres rouages.  Jusque dans l’aveu d’échec inéluctable de qui cherche à atteindre l’impossible.

La mélodie est hantée par le sentiment qu’elle pourrait être autre, qu’elle n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres et, en conséquence, qu’elle est, dans un sens, bien trop prodigue, se jetant dans le vide, dans le silence, alors que peut-être même le silence aurait pu être meilleur, aurait pu être plus efficace.  L’ombre de l’arbitraire et du délibéré gâche même sa plus belle floraison.

Goldberg : Variations est un enchantement!

Gabriel Josipovici, Goldberg : Variations, 2014, Quidam, trad. Bernard Hoepffner.

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