Si ma sœur avait pu vivre éternellement endormie avec la main de son mari doucement posée sur son sein, alors oui, nous aurions trouvé à nous entendre.
Un homme qui parvient à capturer une biche ou un sanglier à mains nues, un autre qui se sert d’un pigeon comme téléphone portable, un autre encore qui laisse sa moitié (sa moitié bien réelle et pas l’allégorique) sur le tarmac de l’aéroport avant d’entamer son voyage ; Jean Cagnard est d’abord créateur d’écarts. De petits pas de côté installant un minuscule déséquilibre qui, subtilement mais radicalement, bouleversent tout l’édifice, croit-on bien ordonné, du « réel ».
Autour d’eux, le cosmos procéda à quelques réglages de son cru, hâtifs et séduisants.
Nous rappelant aussi que tendresse et mièvrerie, bien loin d’être synonymes, s’excluent, les nouvelles de Jean Cagnard mettent en scène des êtres éclatés, en partance, en attente, subitement là puis immédiatement disparus. Chacun de ses personnages est comme un interstice par lequel la plume de l’écrivain tente de saisir des pans d’un réel où le chien est décidément le meilleur ami de l’homme.
C’est rassurant de savoir cela, comme les brèches se referment d’elles-mêmes, comme la merveilleuse machine humaine se fait confiance.
« Grosses joies » se lit comme une parenthèse. Comme ce qui fait brèche dans le cours des choses, et peut le contaminer.
Jean Cagnard, Grosses joies, 2014, Gaïa.