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« Guillaume Tell pour les écoles » de Max Frisch.

Guillaume tellUne certaine dévotion vis-à-vis de l’étranger, pour autant qu’il soit solvable n’entre pas en contradiction avec le particularisme suisse.

S’il y a bien un moyen efficace de construire ou de rassembler un peuple ou une nation, c’est certainement un mythe.  Et s’il en est un qui peut être considéré comme fondateur et incontournable pour les Suisses, c’est celui de Guillaume Tell.  Rappelons en la version officielle : le bailli Gessler, tyran craint, installe un mât au centre d’un village qu’il oblige à tout qui passe à son côté de le saluer déferrement.  Guillaume Tell, ancien mercenaire, s’y refuse.  Le bailli l’oblige alors à tirer avec son arbalète sur une pomme placée sur la tête de son fils.  Contraint, Guillaume Tell réussit heureusement à fendre le fruit et non la tête de sa progéniture.  Apercevant un deuxième carreau que Tell avoue lui avoir destiné au cas où il eût manqué son coup, Gessler le condamne et l’embarque.  Une tempête se déchaîne alors qui permet à Guillaume Tell de se libérer et de tuer l’oppresseur.

La foi dans l’ancestral et le traditionnel, essence de la pensée des Suisses primitifs, qui fait craindre davantage l’innovation que le retard, s’est conservée intacte jusqu’à aujourd’hui.

Dans la version de Max Frisch, le bailli, ventripotent assailli d’un mal de crâne tenace et tourmenté par un foie malade, n’est tyran que par bêtise et conformisme.  Tell y est un balourd bêtement fier qu’il n’est pas besoin de contraindre beaucoup pour faire preuve de son adresse au tir.  Son enfant y est un garnement stupidement crâneur.  Pire encore, le bailli Gessler n’est peut-être pas le bailli Gessler.  Et il n’est pas certain non plus que la pomme ait bien été une pomme…

La valorisation du singularisme suisse, c’est-à-dire une interprétation positive de comportements qui agacent les étrangers, est constante dans la littérature suisse, de même que dans les médias du pays.

Se présentant comme une vraie enquête, sans concessions, abondamment documentée, Max Frisch montre d’abord que le mythe ne résiste pas longtemps à la rigueur de l’histoire.  Mais c’est avant tout, par ce travers faussement rigoureux où la note contamine le texte, à l’instrumentalisation complaisante et nationaliste qui en fut faite de longue date que s’attaque Frisch.  Œuvre délicieusement sacrilège (qui aujourd’hui encore fera tiquer certains autochtones), Guillaume Tell pour les écoles est un démontage en règle des oripeaux du nationalisme.  Qui, dans l’immense éclat de rire taquin qu’il suscite, démontre, plus que jamais, que la virulence peut être saine…

Ce n’est pas sans raison, en dépit du tollé provoqué, que les terroristes palestiniens qui le 18 février 1969 ont abattu à Zurich un avion El-Al en plein décollage se sont réclamés de Guillaume Tell ; l’assassinat du bailli près de Küssnacht, tel qu’il est rapporté dans les chroniques suisses, correspond aux méthodes utilisées par El-Fatha.

Max Frisch, Guillaume Tell pour les écoles, 2014, Héros-limite, trad. Camille Luscher.

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