« Home » de Toni Morrison.

Tout commence par une mise en terre de nuit, d’un corps noir par des hommes blancs, à laquelle, enfants, Frank Money et sa soeur Ycidra assistent, cachés dans un fourré.  Le je qui en fait le récit avoue dès l’abord que, de cette scène, il n’a retenu que l’image de chevaux et non celle du corps enterré.  Toni Morrison nous conte alors l’histoire de ce frère et de sa soeur noirs, originaires de Lotus, Géorgie, dans cette Amérique des années 50, entre Corée et « péril rouge », entre eugénisme et ségrégationnisme.  Mais le récit se conte ici au forceps, car tout ce qui blesse ou fait honte a été dissimulé.  La mémoire a fait ses choix.  Elle n’a retenu que ce qui rassure.  Frank a oublié un corps qu’on enterre.  Comme l’Amérique tente à oublier son racisme de droit ou de fait.  Jusqu’à laisser certain textes bannis sous le maccarthysme encore interdits de nos jours.

Home raconte cet exercice de mémoire sans lequel aucun être ni aucune collectivité ne peut mener de relation sereine avec soi-même ou d’autres.  Toni Morrison, dans ce texte bref, d’une écriture qui fait magnifiquement incision dans le confort de l’illusion, démontre que la littérature a aussi pour fonction de déterrer.  Qu’on aura beau jeu d’ensevelir plus profondément nos fautes, nos culpabilités, de les recouvrir le plus discrètement possible, d’en effacer toute trace, il se trouvera toujours quelqu’un pour y planter qui une croix, qui une pierre, qui un écriteau.  Home est un superbe exercice d’exhumation.

Ayant absorbé tout le bleu du ciel, le soleil se prélassait dans un paradis blanc, menaçant Lotus, torturait son paysage, mais échouait, échouait, sans cesse échouait à le réduire au silence.

Toni Morrison, Home, 2012, Christian Bourgois.

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