« Il est mort? » de Marc Cholodenko.

il-est-mort-de-marc-cholodenkosavoir, de ce qui est, ce qui passe à portée plutôt que de creuser à ses pieds à la recherche de ce qu’on invente qui y serait.

Un homme est aperçu gisant dans le caniveau par un autre. Ce dernier se pose la question inscrite sur la couverture : « il est mort? ». Question qui trouve sa réponse « il est mort. » inscrite à même le quatrième de couverture. Entre les deux, des phrases juste séparées par ces bons vieux point-virgule, ponctuées ad minima, des phrases amples, longues, dans le coq-à-l’âne desquelles on devine ce qui peut se loger dans ce court interstice séparant dans une pensée le fait d’être encore un peu de celui de n’être plus.

avec les convulsions gratuites et des braillements vains le corps s’ébat toute honte bue dans la liberté panique d’être soi accordée par la vacance de la raison avant de se dégager de sous la coque et de cet élément contigu à l’humain pour retrouver l’efficacité de la réflexion et la dignité de l’entendement abandonné à la surface.

Celui dont on se pose la question ici n’est donc pas mort encore. Mais il est au seuil de basculer. Que se passe-t’il en ce moment précis où la raison vacille? Qu’advient-il de la pensée – et de la langue qui en rend compte – juste avant de n’être plus? Que met en jeu, que dévoile cet instant où la conscience verse dans son contraire? Non pas théologique, ni mystique, la question est ici comme prise au pied de la lettre. Et l’allusion – en voile pas si pudique – à l’autre mort, la petite, nous rappelle bien qu’avant d’être marquée de sceaux transcendantaux, elle épouse les réalités les plus palpables. Verser dans la déraison, dans la perte de sa conscience, n’est pas qu’un aléa, une fatalité dont l’advenue serait toujours à empêcher. Une main glissant et glissant encore sur un membre ne tente en effet pas autre chose.

La pensée fait! Et peut se défaire elle-même! Elle peut ainsi, par la seule force complexe et prodigue de l’imagination, faire advenir d’une simple poupée une salope. Et cela, un court mais délicieux instant, et dans le seul objectif de ne plus être. Et ce que peut la pensée, la langue le peut aussi. Par contournement, allusive esquisse, art d’artifice, travestissement, transposition et transmutation, elle décide de ce qu’elle arrache à la seule puissance d’être pour l’actualiser. De la même manière que le poisson quantique est arraché à l’onde et à l’indétermination de son essence par la grâce du pécheur, ou qu’une pensée lubrique transforme – et le transforme vraiment puisque parvenant à s’annihiler un bref moment – du plastique en chair pulpeuse, le génie vrai d’un auteur n’est ni de décrire, ni de dire, mais bien de faire advenir. Et du génie, ce court chef-d’oeuvre en est un parangon!

bien plus agissante et libre [la langue] est-elle quand elle demeure derrière la barrière des dents au service de l’art parolier qui anime et présente ce qui est sans vie ni présence, faisant fuser et frémir dans l’air telles pennes de flèches, les vocables sinon immortels du moins sempiternels d’être toujours réanimables à volonté.

Marc Cholodenko, Il est mort?, 2016, P.O.L.

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