J’aime bien Gaudé mais j’aime pas Gaudé.

 

On aime plutôt bien Laurent Gaudé. On est assez convaincu que Laurent Gaudé est un type bien. Il n’a pas l’air de se la péter. On le sait attaché à défendre des causes que nous trouvons nous-mêmes importantes. On sait qu’il a travaillé avec des gens dont on sait qu’ils sont des types biens aussi. Donc, oui, on aime bien Laurent Gaudé. Et d’ailleurs, chaque fois qu’on nous demande, d’un air abasourdi : « Vous n’aimez pas Laurent Gaudé? », on rappelle directement  que si, décidément, on aime bien Laurent Gaudé, et que le fait qu’on ait pas ses livres n’a rien à voir avec le fait qu’on n’aimerait pas Laurent Gaudé, mais qu’on n’aime pas les livres de Laurent Gaudé. En fait même, on aimerait bien aimer les livres de Laurent Gaudé. Oui, mais voilà, si on aime bien Laurent Gaudé, c’est parce qu’il est – apparemment du moins – un type bien. Ses livres, eux… Diantre, ses livres sont tout sauf biens. Et comme c’est le bon qui rend aimable…

Vraiment on aimerait beaucoup aimer les livres de Laurent Gaudé. Finalement on fait bien l’inverse. Ainsi, on n’aime pas trop Céline mais on aime vraiment ses livres. Pound idem. Ou Rebatet. Par exemple. Donc, comme on préfère vraiment aimer les livres écrits par des types biens – ou supposés tels – que ceux écrits par des types pas biens, hé bien, à chaque fois que parait un nouveau livre de Laurent Gaudé, on s’y plonge dans l’espoir d’y trouver de quoi bâtir ne fût-ce qu’un peu de respect pour la chose. Las, ça part systématiquement en sucette. Ainsi de son dernier, à paraître en octobre de cette année*, Salina.

Imaginez ainsi que vous désiriez indiquer à un lecteur la solennité d’une situation. Là où peut-être vous mettriez discrètement l’accent sur la longue durée pendant laquelle l’action censément solennelle se déroule – quoi de plus solennel qu’une lente procession -, Laurent Gaudé, lui, n’hésite pas à bâtir le solennel sur une surenchère de lenteur. Si c’est solennel, il faut que cela se sache. Et comme solennel = lent, donc très lent = très solennel. Donc il faut beaucoup de lenteur. Et si, distrait comme il est, le lecteur loupe une occasion de remarquer la lenteur à laquelle se déroule la scène, il lui en reste des autres. Pour être précis : 13 autres! Oui da, sur les deux  pages qui détaillent la scène inaugurale du pensum, l’auteur a réussi la gageure de larder la chose de 14 rappels de sa lenteur (dont trois fois l’adverbe « lentement », une fois « le silence dure », une fois « personne ne bouge », etc…)! Ce n’est plus du John Woo, c’est un documentaire entomologiste sur mode ralenti regardé sous doliprane. Et du coup, le solennel se mue en ridicule!

C’est cela le souci avec la littérature gaudienne : la plume (ou le clavier) de son auteur (contrairement à son personnage inaugural qui, lui, ne cesse de s’arrêter) ne s’arrête jamais assez tôt. La nuit n’est pas la nuit toute bête, elle est la nuit « inquiète ». L’aube, elle, est « hésitante » . La vie est « entière » (les instants, quant à eux, sont des « vies entières »).  Le ciel a des « intentions ». Le vent a des « colères ».  Le guerrier a les « muscles bandés » ou le « corps sanglé ». Un acte censé paraître fort ou marquant le sera rarement assez au goût de son auteur s’il n’est pas décliné en plusieurs variantes : « les bêtes vont planter leurs crocs dans sa chair, la fourrager, l’ouvrir avec appétit », « sa nudité le gêne : les seins flasques comme des poches vidées, les poils du pubis clairsemés, les chairs des cuisses un peu molles et les cheveux lâchés », « tout est lent, l’agrippe, le ralentit ». Et puisque mettre des adjectifs et des adverbes partout ne suffit pas, il convient, pour renforcer encore un peu plus la « poésie du texte » d’en appeler à cette bonne vieille métaphore – ou à des figures de style qu’on n’est pas certain de pouvoir nommer – : « le désert de poussière fait plier les oiseaux » ; « un rapace saluerait le monde comme un souverain son peuple »**… Bref, à l’image du pâtissier convaincu que c’est la quantité de sucre qui est gage de la qualité de son merveilleux, la plume (ou le clavier) gaudienne confond avec superbe et aplomb littérature et surenchère. Dans l’espoir de « faire littéraire », elle fait verser sa phrase dans le ridicule. Désirant à tout prix « être original », elle égrène les clichés. Non, décidément, les livres de Laurent Gaudé, on n’aime pas…

Mais Laurent Gaudé, on l’aime bien.

*Qu’on a déjà pu tester parce que les éditions Actes Sud, opiniâtres, continuent, malgré notre refus, à nous envoyer à peu près toute leur pléthorique production.

**Tous les exemples ci-dessus ont été tiré des 30 premières très courtes pages de la chose qu’on ne saurait trop vous conseiller d’éviter.

***L’image ci-dessus (non contractuelle) est bien celle de l’écrivain qui va un pas trop loin dans la recherche de ce que l’on peut nommer « l’effet ».

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