« Jérôme » de Jean-Pierre Martinet.

N’importe qui croisé avec sa part de douleur : roman.

Jean-Pierre Martinet fait partie de ce qu’il convient bien de nommer ces écrivains maudits de la littérature.  Né en 1944, il sera tour à tour cinéaste ou vendeur de journaux.  Il quittera tout pour se consacrer à la littérature.  Edité de son vivant mais passé presque inaperçu hormis d’un lectorat fanatique.  Considéré comme un écrivain du scandale, un auteur trop désespéré, trop sombre, trop sexué, il s’éteindra dans un quasi anonymat en 1993, rongé par l’alcool.

Jérôme conte quelques jours de la vie de Jérôme Bauche, 150 kg, 1,90 m, 1,60 m de tour de taille, imberbe, plat préféré : museau vinaigrette.  Entre une mère qui le déteste (qu’il nomme « mamane »), un « directeur de conscience » lui-même pétri de culpabilité, une très jeune fille (Polly) qui forme son idéal féminin et un être-référent (Solange) à l’aune duquel il jauge chacun de ses actes, chacune de ses pensées, Jérôme fait le constat d’une vie qui se vautre dans l’insignifiant.

Ma vie était minable, complètement ratée, un désert, mais au moins c’était la mienne, avec ses réveils brusques, avec son absence de Polly, c’était la mienne, cent cinquante kilos à chaque seconde de la journée, un lit vide, pas beaucoup d’espace certes, ma vie, je n’avais que celle-là, ces draps sales qui me serviraient peut-être de linceul quand la mort viendrait me chercher, presque rien, une vie dérisoire, une porte battante, et pourtant…

Mais ce n’est pourtant pas ce qui intéresse ici l’auteur.  La porte est refermée vers ce qui mène à un meilleur.  L’espoir n’est pas le lieu d’écriture.  Très vite, le lieu du récit s’enclot.  Et l’atmosphère devient méphitique.  Et dans ces relents d’enfer, les personnages creusent toujours plus avant vers un sordide sans fond.  Où le dégoût de soi souffrant et faisant souffrir se mêle à la jouissance que ces souffrances génèrent.

Elle était si moche qu’on avait envie de la faire souffrir, pour la punir.

et au fond de ce dégoût, il y avait une atroce volupté, qui avait la saveur même de mort.

Dans ce monde où la figure du Dieu, du premier moteur, du principe de toute chose, est une soeur invisible mais auquel tout renvoie et dont tous les diktats ne trouvent justification que dans une impasse tautologique (Car Solange, c’est Solange), dans ce monde donc, Jérôme ne fait qu’hésiter.  Entre paranoïa et accès de culpabilité, entre tendresse larmoyante et cruauté haineuse, entre rêverie d’un idéal éthéré et exécration dégoûtée d’un quotidien abject, entre déchaînements de violence et crises d’auto-apitoiement.  En l’espace d’un instant, Jérôme verse d’un extrême à l’autre mais toujours en s’y livrant tout entier, sans frein aucun.  Et la force de Jean-Pierre Martinet est de nous le donner à lire au plus près, en annihilant toute distance entre l’acte de lire et les actes de Jérôme.  Dans une langue qui est menée par ces changements, ces ruptures mêmes.

Des phrases sans la moindre signification naissaient en moi, elles s’entortillaient autour de mes organes vitaux, elles m’étouffaient, elles claquaient du bec.

Et le scandale, s’il en est un est, est à trouver dans l’écho (un écho-haut-le-coeur) que soulève Jérôme en nous.  Le scandale de se sentir avoir plus à partager avec lui que ce que l’on voudrait.

Tous les hommes avec leur âme semblable tous les hommes unis par une grande solitude tous les hommes.  S’écrasant dévalant la pente se bousculant et s’enfonçant lentement pour finir dans les marécages dans la pauvre terre gorgée de foutre de larmes de sueur cette terre d’esclaves dont pas un seul n’avait laissé une trace dans la mémoire des hommes.

Jérôme est une caisse de résonance de génie!

Si grande compassion, Jérôme, si grande compassion.

Jean-Pierre Martinet, Jérôme, 1978, Finitude.

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