« Jours d’exil (1849-1855) » de Ernest Coeurderoy.

Jours d'exilConsidéré comme un des « penseurs » de la révolution avortée de 48, Ernest Coeurderoy, médecin, fils de médecin, dut s’exiler en Suisse, en Belgique, en Italie ou en Espagne. Alors que la France le condamnait par contumace, de 1849 à 1852 (date à laquelle il rejoindra l’Angleterre), il composa un journal dont l’ensemble, monumental, nous est ici donné à lire.

L’intérêt de Jours d’exil n’est pas à trouver dans l’éclairage que son auteur donnerait des événements de l’époque. A cela, après tout, se suffisent les nombreux écrits et récits plus directement en prise avec l’histoire des peuples. Ainsi, s’il revient bien parfois sur les côtés factuels de son expérience révolutionnaire et sur ses conséquences pratiques personnelles, c’est moins pour documenter les faits que pour illustrer les complexités qui se cachent sous eux.

Je serais humilié d’être de l’avis de tout le monde.

Initiateur d’une tentative révolutionnaire communautariste et individualiste, médecin et poète, « violent » pragmatique et ardent défenseur de ce que nous nommerions aujourd’hui « la cause animale », athée virulent et contemplateur presque animiste de la nature, Ernest Coeurderoy est de ces figures qui rendent à la complexité de l’être humain ses lettres de noblesse. Ainsi nous rappelle-t-il que la tentation communautaire – révolutionnaire ou non – ne doit pas qu’être la chasse gardée d’écervelés gauchistes ou de laissés pour compte. Elle peut être acte de choix. On peut faire le choix de l’agir révolutionnaire sans en être convaincus par les causes premières, ni imperméable aux risques de sa violence. L’agir ne suppose pas un acquiescement servile à tout ce qui est péroré en haut des barricades.

Entre celui qui professe le dogme de l’égalité des personnes et celui qui ne relaie qu’une équitable répartition des choses, il y a une différence radicale.

Et cette différence radicale, comme toutes celles qu’on occulte trop facilement « dans le feu de l’action », qui n’en tient pas compte dans ses choix, dans ses actes, se condamne souvent in fine à combattre ce pour quoi il se croyait au départ engagé. Dans l’exposition radicale de ce qui le pousse à agir, Ernest Coeurderoy nous donne à lire ce qu’on croit bien souvent à tort la fonder.  La raison vraie d’une action qui vaut ne tient pas dans l’aveuglement mais dans la clairvoyance. C’est la conscience pleine d’un agir – de ses risques et de ses doutes – qui lui donne sa valeur.  Et qui devrait la fonder.

Ernest Coeurderoy nous rappelle que là où d’aucuns liraient de la contradiction se dévoile précisément la richesse d’une vie humaine.

Et à ce rappel, universellement indispensable, il donne des mots sublimes. Vive, interpellante, cultivée sans pose aucune, bucolique par endroits, exhortante à d’autres, parfois apaisée, parfois scandée, la langue qu’il lui confère rappelle si bien aussi que tout poète doit se méfier de la poésie. Ou de ce qu’on nomme telle.

dans l’humanité future, les vrais poètes seront les esprits les plus rebelles à ce que nous appelons poésie.

Ernest Coeurderoy, Jours d’exil (1849-1855), 2015, Imprimé en France, Héros-Limite.

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