« La triple corde » de Hilary Putnam.

 

Le scepticisme, le déflationnisme ou le réductionnisme sont des tentations qui, vécues jusqu’au terme de leur processus, ont comme conséquences ce que l’on pourrait nommer « une perte du monde ». Que toute réalité ne soit considérée que comme une fiction qu’un dysfonctionnement – quel que soit le nom qu’on lui donne : Dieu, malin génie, nature… – nous induit à prendre pour du « vrai », que tout état mental ne soit envisagé que comme la résultante exclusive d’états physiques, chaque fois l’excès, sous le prétexte de l’expliquer mieux, réduit de facto la « réalité » à un songe creux ou mécaniste.

je pense que ce n’est qu’en renonçant à ce schéma de la perception comme médiatisée par un ensemble de « représentations » dans un théâtre intérieur que l’on parviendra un jour à échapper à ce recyclage infini de positions inefficaces en philosophie de l’esprit (pour ne rien dire de l’épistémologie traditionnelle ni de la métaphysique traditionnelle) – recyclage qui se poursuit depuis au moins quatre siècles.

Notre habitude millénaire de n’envisager tout rapport à ce qui nous entoure que « médié » par une interface a pu, dans l’histoire de la pensée et aujourd’hui encore, nous inciter à verser dans l’erreur soit de croire la réalité indisponible à la pensée, soit même de nous rendre nous-mêmes étrangers à elle. Au relativisme enjôlant ou au mécanisme désenchanteur, Hilary Putnam préfère la voie médiane du « réalisme naturel ». Rompant avec les arguties d’une histoire de la philosophie s’empêtrant dans ce que recoupent les termes de « perception » ou de « représentation », il convient de faire le pari d’un réel directement saisissable.

Dans les conférences de La triple corde, Putnam démontre une dernière fois (l’auteur est décédé l’année passée) la rigueur et la générosité de sa pensée. Toujours à l’aguet de ses propres failles, toujours attentif à ce que peut lui apporter le « sens commun », toujours curieux de tout, toujours à l’affût des moindres évolutions intellectuelles, il est de ceux par lequel l’histoire de la pensée se dévoile au lecteur avec le plus de clarté tout en étant l’un de ceux par lequel cette histoire s’enrichit de nouvelles formes décisives. Lire Putnam, c’est faire sa fête à la subtilité!

Hilary Putnam, La triple corde, 2017, Vrin, trad. Raphël Ersham, Pierre Fasula, Sabine Plaud & Jeanne-Marie Roux.

 

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