« La version selon Marc » de Peter Esterhazy.

 

Dans la Hongrie d’après-guerre, la famille de Marc, considérée comme « ennemie du peuple », a été chassée de Budapest et placée sous la gouverne de paysans.  Avec son frère plus âgé, son père et sa mère, il habite dans une seule pièce au mur de laquelle, au-dessus de son lit, pend un crucifix. L’enfant, aussi sourd et muet que ce christ cloué sur sa croix, prend la plume pour nous confier ses souvenirs, ses pensées. Témoignage d’une vie d’exilé interne, La version selon Marc fait se succéder, en cents histoires, les disputes des parents, leurs ébats, les injustices quotidiennes que leur vaut leur statut, vues par un enfant dont l’acuité de l’écriture tient sans doute aussi à sa mutité.

Ma mère et mon père ont peur de moi aussi. Non pas de moi, mais de ma mutité. Où commence ma mutité, et où je commence, moi? J’ai peur de ma mutité, moi aussi, c’est pour cela que je prie intérieurement sans cesse.

L’évangile de Marc est, historiquement, le premier des synoptiques. Il peut donc être considéré comme le premier témoignage scripturaire de la parole du nazaréen. Quelle ironie dès lors de penser que cette relation ait pu être écrite par quelqu’un qui n’ait pu ni l’entendre ni en parler. Et que l’édifice bâti sur l’évangile de ce Marc ait pu être entaché d’un vice de forme aussi lourd. Mais si, bien entendu, la référence permanente à l’évangéliste teinte d’un humour sacrilège le roman, il convient de ne pas le lire uniquement sous cette aune. Ainsi, si celui à qui incombe ici la charge de raconter est bien sourd et muet, et que cela peut prêter à sourire, n’est-il pas in fine celui dont le handicap le rend plus proche de ce dont il témoigne. Sa solitude étant à l’image de celle de ce dieu, cloué sur son crucifix, mutique comme lui devant la vie des hommes. Comme si la terrible absurdité de ce dont il convient de témoigner ne pouvait être mieux illustrée que par l’impossibilité du témoignage (non, un sourd-muet ne peut témoigner d’une parole entendue).

Pas un son, aucun son ne sort ni n’entre, rien, et, face au rien, l’inquiétude est tellement ridicule.

En donnant une voix à celui qui en est le plus démuni (le brimé, l’enfant, le sourd-muet), Peter Esterhazy rappelle la fonction testimoniale de toute littérature. Et réaffirme, avec sa coutumière subtilité, tout en émotion contenue, les liens que toute écriture entretient avec le sacré.

La prière sans paroles est la véritable prière.

Peter Esterhazy, La version selon Marc. Histoire simple virgule cent pages, 2017, Gallimard, trad. Agnes Jarfas.

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