« L’ange exilé » de Thomas Wolfe.

Thomas Wolfe

Chacun de nous est la somme de tout ce qu’il n’a pas calculé : qu’on rende à la nudité et à la nuit et l’on verra naître en Crète il y a quatre mille ans l’amour qui mourut hier au Texas.

Publié en 1929, L’ange exilé fit scandale. S’ancrant dans la réalité douloureuse d’une Amérique en banqueroute, il jetait sur cette nation la lumière cure de qui ne prend pas les gants du conformisme fade pour l’éclairer. Vaste peinture d’un sud volontariste sortant de sa léthargie, on y suit la famille Gant, au travers du regard qu’y porte en secret l’un de ses jeunes membres, Eugène.

O perdu!

Alors que leurs enfants cherchent, chacun par d’autres voies, à échapper à leur emprise, la mère, Eliza, et le père, Oliver Gant (toujours nommé « Monsieur Gant » ou « Gant »), s’affrontent dans un combat dont la virulence ne trouve de pendant que dans sa baroque démesure. Fidèle servante de l’idéal capitaliste américain, Eliza parie sur le placement immobilier pour se sortir d’une misère qu’elle continuera à voir toujours plus grande alors qu’elle se sera estompée depuis longtemps. Oliver, lui, sculpteur de son état, n’a cure de la propriété, et s’oppose farouchement à sa femme, comme à tout ce qui peut justifier ses incessantes plaintes. Sur fond de réparties acerbes mais homériques, leur combat, que l’alcoolisme récurent de Gant vient renforcer, prend les teintes du mythe.

il marchait dans l’obscurité, la mort et les anges noirs volaient autour de lui, et nul ne le voyait.

Autobiographie voilée, L’Ange exilé est certes la peinture d’une époque et d’un début de destinée personnelle. S’y découvrent indirectement mêlés une Amérique en crise, empêtrée dans les contradictions de son modèle social, et des sujets perdus dans ces mêmes contradictions. Exilés d’un ailleurs qui peut être Dieu, la patrie, le père, la mère, jetés dans un ici-bas par une faute originelle, les convenances, la violence d’un autre, ou par ses propres craintes et atermoiements, tous semblent jetés d’une place qui leur était naturelle et dans l’impossibilité de s’en trouver une autre qui puisse entièrement les satisfaire. Comme une forme de réécriture du Paradis perdu de Milton, il s’insère dans cette tradition romantique de l’être déchu. Mais il est aussi une extraordinaire tentative d’écriture, que Faulkner lui-même n’hésitait pas à présenter comme la plus importante de son temps.

Dans les remous bruns du passé, sa vie s’enroulait comme la spirale d’un filament électrique ; c’est lui qui donnait vie, forme et mouvement aux innombrables sensations dont le hasard, un instant gagné ou perdu, une inclinaison de la tête, l’élan immense et aveugle de l’imprévisible, avaient alimenté le feu ardent de son être. Avec un éclat intense et rayonnant, son esprit faisait ressortir ces expériences infimes, et tout le reste n’en était que plus affreusement irréel. Et combien de ces sensations qui resurgissaient et ouvraient en lui, jusqu’à l’obsession, les horizons de l’imagination et du rêve, avaient été happées, au milieu d’un paysage tourbillonnant, à la fenêtre d’un train.

L’écriture de Wolfe parait être la directe retranscription d’un faisceau de la lumière. Plus précisément même que le compte-rendu scrupuleux de ce qui serait rendu visible par une source d’éclairage en fonction de sa progression, de ses hausses ou baisses d’intensité, l’Ange exilé donne l’impression d’être la source elle-même. Rendant une bribe de cette lueur tant désirée aux anges exilés que nous sommes, par la grâce des ses contrepoints, Wolfe a compris que peindre ne se fait pas avec des couleurs mais avec la lumière…

C’était comique. C’était pénible. C’était violent.

Nous avons été des exilés dans un autre pays, des étrangers dans le nôtre.

Thomas Wolfe, L’ange exilé, 2008, trad. Jean Michelet, L’Age d’Homme.

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