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« Le lecteur à l’oeuvre ».

bodmerA l’heure où la technologie (mais surtout l’angoisse que soulève notre manque de maîtrise à son égard alors même qu’elle semble étendre toujours plus la sienne sur nos existences) questionne le rapport à tout objet en général, au livre en particulier, la fondation Bodmer propose une exposition consacrée à ces manières dont, depuis toujours, pèsent les lecteurs sur l’œuvre.

Plongeant dans les textes d’entre autres Cendrars, Proust, Montaigne, Mallarmé, Cortázar, Erasme ou Sterne, les auteurs de la préface du catalogue qui prolonge brillamment l’exposition bien plus qu’elle ne l’accompagne comme traditionnellement, les auteurs donc, tout comme les commissaires nous rappellent que tout texte est aussi au préalable un geste de lecture.  Les pages d’épreuve des « Intermittences du cœur » montre un Proust « se » lisant, « s’ »annotant, barrant le titre, renommant le livre « A la recherche du temps perdu ».  Une « Divine Comédie » de 1481, reprend, en regard du texte de Dante, un commentaire de l’œuvre qui colonise presque l’entièreté de la page.  L’exemplaire arrivé jusqu’à nous se complète en sus du commentaire d’un humaniste annotant non le texte de Dante mais le commentaire savant.  Ce livre ayant contribué largement au rayonnement de la Divine Comédie.  Un exemplaire du « De Rebus Gestis Alexandri » de Quinte-Curce de 1545 montre dans sa marge des annotations du lecteur Montaigne, dont on retrouvera plus que de simples traces dans « Les Essais ».  Il n’y a de texte que lu.  Et c’est toujours un texte déjà lu que nous lisons.  Et l’acte qu’est lire, quand le constat qu’il est un agir devient enjeu de l’écriture, comme chez Butor (ou comme chez Arno Schmidt, ou Maurice Roche ou tant d’autres maintenant pour qui cela forme centre dans l’œuvre même), il convient de s’imprégner de sa signification pour en appréhender l’importance et saisir qu’il est toujours performatif.

Un livre dont l’enjeu est tel ne pouvait bien entendu faire l’économie de la mise en scène de son propos.  La couverture thermo-sensible dévoile son territoire par la chaleur des doigts du lecteur.  L’ampleur laissée à la marge est un appel à l’annotation.  Car l’œuvre nécessite un lecteur à l’œuvre.  Et comment l’exprimer mieux qu’en faisant s’inscrire dans l’œuvre, par ces procédés, les traces qu’y laisse le lecteur?  Ne lui laissant plus l’espace où douter de sa qualité d’acteur.  Lui démontrant, n’en déplaise aux tristes, que l’avenir est à lui.

La conception de l’œuvre comme un mobile qui s’accomplit dans son devenir rassemble l’âge pré-moderne et l’âge post-moderne dans un idéal commun de plasticité qui ouvre à l’action du lecteur une ample carrière.

Le lecteur à l’œuvre, 2013, Infolio.

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