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« Le mythe de la Grèce blanche » de Philippe Jockey.

mythe de la grèce blancheLa très vive polychromie des temples était « l’agalma » par excellence, offrande aux divinités honorées.  Le blanc, à l’inverse, était la marque même de la désaffection religieuse et source d’ennuis pour les humains.

Toutes les statues grecques étaient systématiquement peintes.  Des frontispices des temples aux statues des dieux en passant par les sarcophages, la polychromie était partout.  Et si les statues n’étaient pas chamarrées, elles étaient dorées à l’or fin.  Le travail du peintre était tout aussi important que celui du sculpteur, étant associé à l’œuvre dès sa conception.  A la fois tentative de restitution du réel, monstration d’une complexe symbolique des couleurs (ou le blanc était d’ailleurs à éviter), l’édification de la statuaire grecque était à cent lieues de l’image marmoréenne qu’elle a pris de nos jours.

Si les couleurs participent de la définition même de l’altérité dans le monde grec […] elles concourent aussi à l’affirmation d’une ultime forme de l’autre : l’étranger, voire le barbare.

Très vite, la couleur fut l’occasion de définir un rapport à l’autre.  Le grec était représenté sous ses codes de couleur (jamais blanc cependant), le métèque et le barbare sous les leurs (à dominante brune, voire rousse).  Les frontières et les clivages de la société grecques y trouvaient leur mode de représentation.

Idéologie et esthétique vont très souvent de pair dans l’histoire du monde occidental.

Au fil du temps, les couleurs vont s’estomper.  Les temples ne seront plus entretenus.  Rome, qui, la première, va copier les œuvres grecques sculptées et les diffuser, oubliera leurs couleurs pour des raisons pratiques (dont celle du coût).  Puis, avec Pline, la blancheur va devenir morale, car célébrant dans l’imagerie le refus connexe du métissage.  Malgré une résistance chromatique d’origine païenne dans les premier temps chrétiens, lentement mais surement, « le blanc comme métaphore de l’antique commence alors de s’imposer à tous ».

Un beau corps sera d’autant plus beau qu’il sera plus blanc.

Ce blanc de l’antique, devenu le paradigme de représentation du moralement juste, va être célébré à toutes les sauces.  C’est dans les blancs antiques qu’on enterre les hommes d’Eglise.  On fuit les couleurs de l’art pour retrouver la pureté du rapport à Dieu.  La grotte de Pan à Paros devient lieu de pèlerinage.  Et chaque fois, le recours éthique au blanc est avalisé par l’antique.  Jusqu’au Quattrocento qui, se découvrant à tort un passé marmoréen, l’opposera à l’autre bariolé, image du vulgaire, forcément éthiquement moindre ; l’amérindien ou l’arabe.  Cela se renforçant d’autant et s’enracinant dans l’imagerie populaire par des modes comme celle due à Wegdwood qui reproduira par millions les camées antiques gravés à l’origine dans l’onyx ou la sardoine (donc tout sauf blancs) dans un jaspe au blanc éclatant.  Partout la dichotomie couleur/orient vs blanc/occident se renforce et trouve à se justifier dans des origines antiques blanches.

Que dire alors quand, dès 1798, on redécouvre cette réalité d’une Grèce polychrome, que dès ce moment ne font qu’avaliser avec certitude toutes les découvertes et études?  Loin d’accueillir la nouvelle comme il se doit, dans l’évidence que peut donner la science lors d’une époque si positiviste, au fur et à mesure de cette redécouverte, le discours visant à assurer la blancheur du passé se renforce.

une telle redécouverte menace de saper les valeurs cardinales d’ordre, de tradition et supériorité de l’Occident sur l’Autre.

D’une Grèce trouvant dans son passé blanc de quoi trouver une raison supplémentaire de s’opposer à l’Empire Ottoman dont elle s’émancipe en 1830, à un touriste d’aujourd’hui à qui on décide qu’il est impossible de vendre une Grèce autrement que se détachant parfaitement blanche sur fond bleu, jusqu’au blanchiment récent du Parthénon, tout montre et démontre, au sein de ces résistances et résurgences, que cette question de la blancheur antique revêt bien plus qu’une simple question d’ordre scientifique.  Et la force de l’analyse de l’auteur est bien là.  En montrant les causes (et conséquences) de la construction d’un mythe, il nous rend attentif non seulement à l’élaboration de celui-ci, mais aussi à son renforcement, au plus profond de nos consciences mêmes, en une mystique dont il convient de reconnaître ce qui a présidé à sa formation pour en détecter, et désamorcer au besoin, les enjeux.

Philippe Jockey, Le mythe de la Grèce blanche, 2013, Belin.

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