« Le palace » de Claude Simon

Au travers des regards et souvenirs croisés d’un étudiant, d’un Américain, de deux Espagnols et d’un Italien « Le palace » nous plonge au coeur de la révolution espagnole de 1936.  Mais l’évènement, comme toujours chez Claude Simon, n’est bien sûr pas abordé de front.  On ne conte pas le fait.  On n’en conte pas plus son souvenir.  Ce qui nous est donné à en connaître est précisément cette difficulté qu’ont tous les protagonistes à eux-mêmes l’aborder.  Claude Simon nous donne à connaître un évènement (la révolution espagnole) par la représentation de personnages qui, eux-mêmes, cherchent à se représenter cet évènement.  D’où cette phrase, comme un leitmotiv :

Mais comment était-ce, comment était-ce?

Chaque personnage, comme chaque lecteur, glane alors ici et là de quoi rendre compte de l’évènement.  Toujours éparses, parcellaires, les traces parsèment le texte, se redoublant, se complétant.  C’est la moitié d’une manchette de journal aperçue au début.  Puis l’autre moitié qu’un autre personnage lit plus loin. Le texte de Simon est tel un ressac qui, dans son lent et incessant mouvement de va-et-vient, fait affleurer, sur la grève de nos mémoires, ce qui peut y faire sens.  Comme le protagoniste construit l’évènement, le lecteur construit le texte en rendant compte.

Tout cela dans un temps comme arrêté, suspendu.  Ou plutôt un temps de l’avant ou de l’après.  Comme celui de l’acteur avant d’être saisi par la pellicule.  Mieux même, cet espace-temps où reste coi ce même acteur au sein de notre mémoire, comme en attente, avant la même scène éternellement rejouée.

la foule jacassante qui semblait avoir ressurgi (…) comme si elle s’était tenue (ou plutôt comme si on l’avait rangée) quelque part toute prête pendant la nuit, comme ces ensembles de marionnettes, d’automates figés au milieu d’un geste, d’un sourire, et qui tout à coup, au déclenchement de la mécanique, se mettent tous en même temps à se mouvoir et à babiller…

Par cette construction en oeuf, en cycle s’accomplissant, par cette phrase faite de temps (toute en participe), c’est l’autre signification de la révolution qu’exprime ici Claude Simon.  Celle, donnée en exergue au livre :

Révolution : Mouvement d’un mobile qui, parcourant une courbe fermée, repasse successivement par les mêmes points.

Et cette signification vient peser sur l’autre de tout son poids.  D’une promesse de rupture, saisie dans la radicalité d’un instant, la révolution devient son contraire : une répétition, un retour du même.

Claude Simon, Le palace, 1962, Minuit.

On notera (peu et en passant) la sortie d’un volume reprenant quatre conférences prononcées par Claude Simon entre 1980 et 1993.  Ce recueil redondant, bien loin d’un véritable intérêt documentaire, sent effectivement le fond de tiroir à plein nez.   Il laissera donc le spécialiste sur sa faim et le lecteur avisé sur la douloureuse impression de s’être fait inutilement délester de 13,50 €. 

Claude Simon, Quatre conférences, 2012, Minuit.

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