« L’économie morale des sciences modernes » de Lorraine Daston.

Economie morale des sciences modernesNous sommes les héritiers d’une tradition très ancienne qui oppose la vie de l’esprit à celle du cœur, et d’une plus récente encore qui oppose les faits aux valeurs.

Dire que les catégories ont une histoire est déjà en soi une révolution.  Dans cet article publié dans la revue Osiris en 1995, Lorraine Daston, par le prisme de ce qu’elle nomme économie morale, rappelle d’abord que les catégories fondamentales de la pensée scientifique (le probabilisme, l’objectivité, la causalité, l’expérience,…) ne sont pas issues d’un donné, d’un ailleurs surplombant les savants et les imbibant de tout temps.  Et l’épistémologie historique qui permet de retracer l’histoire des cadres scientifiques fondamentaux fait alors affleurer à la surface même de son analyse les raisons morales qui y président.  En analysant en quoi et comment l’économie morale a pu structurer les caractéristiques essentielles de la connaissance scientifique que sont la quantification, l’empirisme et l’objectivité, elle démontre avec brio, et sans recourir aux trop faciles filtres du psychologisme ou de la motivation, que la fabrique des sciences est liée à la fabrique des valeurs.

Ainsi Lorraine Daston, en analysant la quantification dans son rapport à l’histoire, montre comment a pu se développer l’importance accordée à la mesure de précision.  L’éthos de l’exactitude a une histoire qui modèle celle des sciences.  Quantifier, procédé paraissant gage de précision, de perfection, d’autodiscipline, de retrait complet du sujet, n’est pas neutre.

L’expérience, qui a remplacé les universaux aristotéliciens par des cas particuliers, a également remplacé les lieux communs aristotéliciens par des raretés et des singularités.

L’empirisme, en même temps qu’il marque un passage de la communauté à l’individu, dans le lien qu’il entretient avec la curiosité, marque celui d’un signe d’incontinence et de passivité à celui de vertu cardinale.

L’objectivité est une méthode de compréhension.

Au delà d’une historicité, des fondamentaux (paraissant établis de tout temps, fermes par nature) tels que la quantification, l’empirisme et l’objectivité ont une diversité.  Ils sont pluriels.  Et leur formation interroge nos propres cadres d’appréciation de la science que nous n’hésitons pourtant pas (souvent inconsciemment) à définir sous des plans moraux.

La science n’est pas simplement synonyme de vrai ; elle l’est aussi de « bien » et de « juste ».  Cette équation n’est pas nouvelle et a une longue histoire.

Lorraine Daston, L’économie morale des sciences modernes, 2014, La Découverte, trad. Samuel Lézé, présentation Stéphane Van Damme.  On s’en voudrait de ne pas vous inciter à prolonger cette découverte du travail de Lorraine Daston avec son Chef-d’œuvre (très bien habillé qui plus est) que constitue « Objectivité« , sorti aux Presses du Réel en 2012.

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