C’est peu dire que la nuit recèle des mystères! Dans l’histoire personnelle de chacun, comme dans celle que nous partageons tous, ce qui se cache au delà des limites de notre regard n’a de cesse de nous intriguer. Et ce ne sont pas les nouveaux outils technologiques à disposition qui ont épuisé les questions du nocturne. Au contraire même, la vision nocturne moderne parait souvent avoir, en la rendant techniquement disponible, éloigné la « nature » de la nuit encore un peu plus de qui l’observe. Comme si les moyens que l’homme construisait pour approcher mieux la nature de nuit l’en éloignait toujours plus.
Georges Shiras, avocat et membre du Congrès américain au tournant du siècle dernier et du précédent, fut d’abord chasseur avant de troquer le fusil contre l’appareil photographique. Très rapidement, il voulut saisir au plus près, dans l’objectif d’en défendre l’habitat, les animaux qu’il traquait auparavant. Pour ce faire, il transposa diverses techniques d’approche cynégétique à l’univers photographique. Et en élabora d’autres qui l’élevèrent au rang d’un des pères de la photographie naturaliste. Ainsi des techniques d’éclairage permettant de photographier la faune de nuit. En déclenchant dans la même seconde mais avec un infime décalage la charge de magnésium qui devait éclairer la scène à capter et l’appareil photographique qui devait l’immortaliser, il parvient à figer sur l’argentique l’image de l’animal avant même que la surprise de l’éclair subit ne le saisisse*. Nous pouvons alors contempler des biches, des faons, un lynx, comme indépendamment des effets de la lumière sur eux. De l’intérieur de la nuit.
En regroupant dans un même espace les photographies de nuit du pionnier Georges Shiras, l’éditeur extirpe son travail des ornières techniques, documentaires ou écologistes auxquelles on il eût pu rester cantonné. Et en exacerbe subtilement la sublime beauté plastique!
Georges Shiras, L’intérieur de la nuit, 2015, Xavier Barral.
* La photographie qui illustre notre propos fut obtenue selon le même mode opératoire, mais en faisant précéder – dans la même seconde – la décharge de magnésium d’une détonation.
