« Merci » de Pablo Katchadjian.

merci couvpourraient-ils ensuite arrêter d’être soldats? Ils chercheraient à convertir cette fonction en identité et par conséquent à continuer de se battre même quand l’ennemi aurait disparu. « L’ennemi ne disparaît jamais », me répondit Ninive.

Enfermé dans une cage en bois avec deux cents compagnons d’infortune, un esclave arrive dans une île.  De belle constitution, il est rapidement acheté par Hannibal, un maître local.  Ce dernier, assez libéral dans sa conception de leurs rapports, semble traiter son nouvel esclave avec la plus profonde humanité.  Tout en lui confiant la tâche la plus abjecte à laquelle un être humain puisse être confronté…

Trouvant des appuis auprès d’autres serviteurs, notre esclave deviendra l’artisan d’une révolte dont les conséquences le déborderont rapidement.

j’avais dû subir d’insupportables humiliations qui m’avaient incité à entreprendre une quête de liberté dont l’aboutissement avait été leur libération

Jouissive réécriture de la métaphore hégélienne du Maître et de l’Esclave, Merci déploie l’éventail des questions que soulève celle de la liberté.  N’est-elle pas in fine, parfaitement  réalisée, qu’un autre pan de la contrainte ?  Son principe même ne l’empêche-t-elle pas de prétendre à l’universalité ?  Peut-elle être imposée ?  Et puis, une fois cette liberté acquise, qu’en faire ?

il nous suffirait de faire les choses correctement pour que la cendre ne progresse pas.

Mais surtout, se dotant de moyens formels neufs, l’auteur parvient à inclure génialement et en toute simplicité le lecteur dans le foisonnement de celles-ci. Arrêts abrupts de la narration, répétitions de pans entiers du récit, si ces « expédients formels » sont décelables dans le récit et lui donnent bien une « teinte axiomatique », ils n’en sont jamais démonstratifs, car venant en soutien direct de l’efficacité du récit.  Ainsi du suspense qu’il parvient à instiller chez le lecteur et qui, résultant de sa propre mise en scène, questionne directement les rapports que ce suspense suppose entre qui raconte et qui lit. Comme entre qui dirige et qui suit… En contant celle de maîtres et d’esclaves, Pablo Katchadjian, nous livre l’histoire intemporelle de la lecture et nous pose cette question essentielle : « Lecteur, ta lecture est-elle libre ? »

Plutôt morts qu’esclaves!

Pablo Katchadjian, Merci, 2015, Vies Parallèles, trad. Guillaume Contré, imprimé & découpé par Schaubroeck en Belgique, broché par Sepeli en Belgique.

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