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Nous ou de l’art d’être nombreux et déterminés.

sans abrisDelhaize vient d’accepter de démonter les chasses-pauvres installés il y un peu plus d’une semaine sur les marches extérieures de son magasin d’Ixelles!

Comment passer du rejet à l’accueil?  Comment, d’une structure censée éloigner, la faire retourner à ce qui peut rapprocher?  Et comment, avant tout cela, faire admettre l’évidence même : qu’un acte de rejet en est bien un?

Il faut l’avouer, les discussions menées entre les dirigeants de Delhaize, les autorités communales et nous furent parfois agitées (on a même du dire « tu » à un bourgmestre, avec des yeux très fâchés et en parlant très fort).  Face à l’évidence que représente pour nous l’ignominie de l’aménagement en question, nous trouvâmes d’abord souvent de l’incompréhension, parfois un timide aveu de culpabilité morale, parfois une mauvaise foi crasse.

La décision de Delhaize de démonter ces panneaux rejetant de fait tout sdf, en les privant de la possibilité de se coucher, n’est bien entendu pas parfaite.  L’abri que permettent ces lieux rendus à leur dépouillement initial ne remplace bien entendu pas un toit.  Par essence précaires, ces marches ne pallient en rien les carences de structures qui, quand elles existent, se révèlent bien souvent démunies face à la déshérence la plus absolue…  Ce retour « à la normale » s’accompagne qui plus est de mises en garde – et celles-ci s’avèrent d’autant plus questionnantes qu’elles nous semblent « garder du flou ».  Mais il y a maintenant bien plus, sur ces marches, que la fonction de repos qui leur est rendue.  Elles sont maintenant chargées d’un symbole redoublé.  Car, du symbole d’abri qu’elles revêtent par elles-mêmes, elles assurent en sus, par ce dont elles prennent la place, celui du rejet de l’exclusion.  Rejet du rejet qui ne fut rendu possible, autre symbole dont se teintent ces pierres,  que grâce à une mobilisation exemplaire et déterminée.  La charge d’un symbole s’alourdit toujours de la valeur de celui qu’il a pour fonction de remplacer.  Et cela n’est pas rien!

C’est une propriété privée. Et donc, légalement s’entend – mais qu’est ce que la loi? -, la décision de Delhaize lui appartenait.  Alors, certes, on ne peut nier que le rapport de force initié par les habitants du quartier (et largement relayé – c’est le moins qu’on puisse dire – par les médias) ne pesa pas rien dans son revirement.  Mais si cette détermination (et sa médiatisation) fut, précisément, déterminante, elle fut le déclencheur, non la raison profonde d’un revirement.  Il nous a semblé que si Delhaize a pris cette décision, c’est bien parce que ses représentants ont saisi, au delà du « danger commercial » que l’impressionnante mobilisation recélait, le bien-fondé de l’indignation générale.  Le revirement de Delhaize n’est pas « commercial ».  Il est moral.  Même s’ils ne le concèderont qu’à demi-mot.

Alors certes, si, bien heureusement, nous pûmes arriver à nous entendre sur le caractère choquant (et inopérant) du dispositif en cause, les discussions, tendues mais riches, ont fait émerger bien des divergences.  L’une d’entre elle, et non des moindres, portant sur ce qui devait, ou non, être « solutionné » par cet aménagement.  Devait-on trouver une solution à la déshérence des sdf? Ou à ses conséquences directes ou indirectes? Une solution à l’insécurité éventuelle qu’ils auraient généré? Ou à un « sentiment d’insécurité »? Une solution devait-elle être apportée à une situation hygiénique préoccupante? Ou à un aspect « paysager » dommageable au commerce? Une solution devait-elle être trouvée à l’occupation des lieux par ces sdf là ou par des sans-abris quels qu’ils soient? Il est apparu bien rapidement que, derrière cette question d’aménagement, d’autres sourdaient, bien plus fondamentales encore, sur lesquelles nous n’aurions pu nous entendre en l’espace d’une semaine.  Ces divergences nous rappelant, si besoin en était, à quel point la vigilance de chacun est requise dans la défense de la liberté des plus faibles, comme de la nôtre…

Dans tout cela donc il y a bien entendu plus d’un hic!  Dont l’un, particulièrement préoccupant, est incontestablement le désinvestissement du public.  Car si nous parlons ici beaucoup de Delhaize et pas du pouvoir public, c’est bien parce que celui-ci se montra tout du long d’une sublime incurie. D’abord appelant « les âmes généreuse à s’occuper des sdf en question si cela les préoccupait tant » (à voir vers 49’00 »!), le bourgmestre justifia ensuite son soutien à la grande surface par le fourre-tout fumeux du « trouble de l’ordre public« .  Lorsque nous émîmes cette idée d’abri et que nous le questionnâmes sur la possibilité de recevoir l’aide communale pour ce faire (entre autre relativement à l’hygiène) nous fut répondu un cinglant « hors de question ».  Il nous fut rappelé maintes fois que notre initiative de rassemblement serait assimilée elle aussi (ben oui) à un trouble de l’ordre public, à un rassemblement violent (le mot « émeute » fut prononcé). Enfin, lorsque nous évoquâmes la vulgarité de l’aménagement réalisé, habilement dissimulé sous un aspect lisse, il fut proposé, goguenard, aux représentants de Delhaize, de les remplacer par des « nains de jardin »…  Entre blagues potaches, ponce-pilatisme assumé et intimidation balourde (« Imaginez qu’un enfant vienne à être blessé lors de votre manifestation »), tout du long, le service public se montra d’une incompétence crasse et d’une morgue imbécile! Tout le monde (en ce compris ceux qui s’opposaient à notre indignation) l’admet : c’est au pouvoir public qu’il revient de prendre en charge cette problématique.  Pas au privé.  C’est cependant une entreprise et un rassemblement privé de citoyens qui ont essayé d’organiser au mieux un vivre-ensemble dont des « dirigeants politiques de gauche » (oui oui de gauche) se sont avec un aplomb hautain lavé les mains.  On ajoutera cette anecdote un tantinet salée : le jour de notre dernière réunion avec Delhaize furent installé dans la même rue, à même les trottoirs, les nouveaux distributeurs de tickets de stationnements de la société Vinci! Renversement des rôles et symbole superbe (encore un décidément) : alors même que depuis une semaine nous nous préoccupons encore un peu plus que d’habitude de la prise en charge de la misère publique par le privé au grand mépris du « pouvoir public », ce dernier organise un peu plus la location de son territoire (le nôtre!) au privé.  Comme si ne nous appartenait décidément plus que la misère…

*la photo ci-dessus est de Christophe Wiener et répond, visuellement du moins, à cette question essentielle : de qui parlions-nous?

**un immense merci à tous ceux qui se sont mobilisés tout près ou très très loin, beaucoup ou moins, virtuellement ou physiquement.  Xavier, Roy, je dépose sur votre front haut et dégagé, un doux baiser juste humide ce qu’il faut.

***tout cela nous a coûté, outre une grosse fatigue, une page Facebook qui nous est fort utile.  On en a reconstruit une ici.  Si vous pouviez partager cet avis, ça serait bien gentil!

 

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4 Commentaires

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  1. Marie-France Debaise

    Bonjour,

    Un grand très grand merci pour votre intervention et votre implication ces derniers jours …Vous n’imaginez pas le bol d’air frais que je prends d’entendre ce que vous avez dit à propos de ces plaques!
    Les rares fois où je me déplace je me sens intimement blessée des mesures toujours plus ingénieuses à l’encontre des sdfs que je découvre au fur et à mesure..bancs coupés dans leur longueur à Londres,expulsion dès l’aube à Lyon des parcs.. »circulez « ..bien pour aller où? …la ville?N’y pensons même pas!
    Bancs cloisonnés par des barreaux ..je ne sais plus où..

    Vous avez su parler et faire entendre votre voix …en votre nom bien sûr ,..mais sans le savoir en mon nom aussi..au nom de tous ceux qui ne parlent plus et au nom de tous ceux qui disent les choses et que l’on entend plus.

    Hier j’apprenais qu’un mur anti-sdf allait être démoli à Liège…effets indirect de votre intervention courageuse?

    Encore merci à vous que j’ai vu à la tv et à tous ceux dont vous parlez et qui y ont participé.

  2. Bertrand Wert

    Commission « mendicité » pas « pauvreté ».. Sorry

  3. Bertrand Wert

    Bonsoir..En direct du conseil communal d’Ixelles : Double victoire de la société civile ixelloise et de la demarche menée par le Ptyx sur l’affaire des « chasses pauvres » : le bourgmestre vient d’annoncer la tenue d’une prochaine commission spéciale (ouverte au conseillers communaux) sur « la pauvreté » à Ixelles (quelle découverte) – il semblerait que les services communaux compétents lui aient fait remonter une note de 8 pages….et qu’il l’ait lue! 🙂 – BW conseiller communal Ecolo

  4. RIOT

    Voilà une belle démonstration que la fatalité du  » qu’est ce qu’on peut y faire , » recule devant la détermination de citoyens engagés, motivés et qui ne se résignent pas devant les rouleaux compresseurs politico-financiers. Oui, on peut !!! On lâche rien. Merci à tout ceux qui ont initié ce mouvement… A tout de suite pour fêter ça…

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