« Parce que l’oiseau » de Fabienne Raphoz.

 

Mais je préfère parler des oiseaux.

Nous vivons dans le bruit. Non nécessairement que ce soit le niveau sonore atteint qui rende la chose remarquable, mais bien plutôt l’indiscernabilité dans laquelle tout s’y fond. Un klaxon, un chant d’oiseau, un cri de haine, un murmure énamouré, rien n’en émergera pour l’auditeur qu’en raison de la façon dont son volume tranchera par rapport au fond. Le chant de l’oiseau est peut-être aussi cela qu’il convient d’arracher d’un fond dont on ne discerne plus rien. Pas même qu’il y en a un, de fond.

J‘écris comme d’autres dansent la tarentelle. 

Dans Parce que l’oiseau, nous suivons Fabienne Raphoz dans ses ballades ornitophiles. Nous apprenons à mieux connaitre ses hôtes du Quercy : Lady Hulotte, Front-Blanc, Tête noire, et d’autres. Entre divagation, journal, essai ornitophile et méditation sur les langues, Parce que l’oiseau nous parle bien d’oiseaux. Mais, à travers les oiseaux et surtout la relation qu’une amatrice entretient avec eux, c’est presque l’essence de toute relation qui nous est donnée à lire. Car la relation, c’est bien ce qui lie comme ce qui est raconté.

Nommer, ce n’est peut-être pas tant exercer du pouvoir sur ce qui nous entoure, que naître de concert avec ce qui nous en distingue : le langage, du moins notre langage. Nous parlons et ne comprenons pas ceux qui – nous – parlent peut-être aussi dans cette langue ésotérique de cris et de chants, et je me rêve souvent en Champollion décryptant la pierre de rosette orale de leur syrinx.

Nommer, c’est la première puissance de l’enfant qui a tôt fait de virer les ensembles, les regroupements, les généralités, pour affecter son « Teddy Bear » à lui d’un nom que ce « bear » partagera avec lui seul dans son latin d’enfant.

Nommer c’est peut-être posséder, mais sans dommage co-latéraux, voire, c’est aller plus loin, c’est dépasser le stade de la possession : l’enfant se dit d’abord « cet ours, c’est le mien », mais quand il le nomme, le considérant autre, pour parler avec lui, l’enfant sait que l’ours lui répond, l’enfant lui aura inventé les réponses qu’il entendra d’une fenêtre intérieure ouverte sur le langage de l’altérité, en confidence.

Et puis, surtout, nommer, c’est bien ineffacer ce qui nous entoure, parce que les espèces, comme les individus, évoluent, parce que les espèces et que les individus meurent.

L’exercice de l’ornitophile est d’entendre d’abord, de nommer ensuite. Double mouvement qui nécessite d’abord l’attention – celle qui permet d’à nouveau discerner le différent dans le champ du même – puis le langage – par lequel on transcrit dans un idiome partagé par d’autres la parole mystérieuse que l’on en aura extraite. Quelque chose nous échappera toujours de la signification des chants des oiseaux. Y être attentif, tenter encore et encore de les reconnaître et les nommer, permet de nous rappeler qu’il n’est parfois pas plus mal d’accepter, à défaut de la comprendre, l’irréductible part de mystère qui résidera toujours dans la différence.

Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau, 2018, Corti.

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