« Que faire des pauvres? » de John Locke.

Que faire des pauvresL’image accolée à John Locke, le « père fondateur du libéralisme », résulte bien plus (comme tant d’autres images) de ce qu’on a fait maintenant de sa pensée que de sa pensée elle-même.  Ce que l’on en sait est de seconde main.  Et en associant à son nom celui du libéralisme, on l’y assimile de fait avec ce que le libéralisme contemporain représente à nos yeux ébahis par ses excès.  Et, le « lisant », on s’enfère, à s’en aveugler, dans ce qui confirme confortablement l’opinion.

Pour mettre les pauvres au travail, la première étape serait, à notre humble avis, de limiter leur débauche par la stricte application des lois s’y opposant, et plus précisément par l’élimination des tavernes et estaminets superflus, surtout dans les paroisses de campagne éloignées des grandes routes.

Un autre avantage qu’il y a à élever ainsi les enfants dans une école d’industrie est qu’on peut les obliger à aller à l’église tous les dimanches […] ce qui leur inculque le sens de la religion.

Le bourgeois inculte a trouvé son maître dont les messages (leur ancienneté, leur caractère patrimonial surtout) légitiment son individualisme.  « Voyez, déjà au 17ème, on avait compris que les pauvres n’en touchaient pas une! Que s’ils sont pauvres, c’est qu’ils le veulent bien!  Qu’ils leur faut de la droiture, du sens moral! Et que tout ça, ils l’auront pas tout seuls… »  L’opposant, lui, y décèle le paradigme rassurant de l’ennemi parfait et héréditaire.  L’un y trouve de quoi se fonder, l’autre à quoi s’opposer.  D’un côté, on acclame une histoire dont on se réclame, de l’autre, on exècre un archaïsme toujours à combattre.  Et, sous l’emprise de l’affrontement contemporain, bien aises de part et d’autre de trouver une figure paradigmatique, on en occulte toute nuance.

Si un individu meurt faute de secours dans une paroisse où il aurait dû etre secouru, une amende sera imposée à ladite paroisse en fonction des circonstances du décès et de la gravité du crime.

chacun desdits habitants sera tenu, à tour de rôle, de donner du travail aux pauvres sans emploi, moyennant le salaire fixé par le gardien des pauvres. Si quelqu’un refuse de donner du travail aux pauvres lorsque son tour vient, il devra leur payer le salaire fixé, qu’il les emploie ou non.

Sous la patine bienvenue des formules clivées de John Locke, nos oppositions actuelles maintiennent dissimulé le projet social d’un intellectuel.  Locke (comme Marx le serait pour d’autres) n’est pas un hérault des lieux communs de son temps.  Derrière les expressions moralistes, radicales, où l’obsession du coût, la négation même de l’idée d’émancipation sont au moins autant traces d’un temps que conviction personnelle, derrière donc ou même parmi tout cela, se proclame (plus que se devine pour qui sait lire), une véritable et honnête tentative de résoudre le problème de la pauvreté.  Locke, qu’on soit en accord ou non avec les postulats qu’il met en oeuvre, tente pragmatiquement d’organiser les rapports entre être humains.  Plutôt que de se servir d’un nom comme repoussoir, comme figure du mal, il conviendrait mieux, à l’époque où les questions qu’ils posent reviennent en force, d’en rappeler les nuances.  De rappeler aussi à ceux qui cherchent à légitimer l’égoïsme sous l’étendard d’une pensée, qu’il convient d’en lire autre chose que ce qui les arrange.  Bref, de lire…

Chacun doit avoir à manger, à boire, de quoi s’habiller et de quoi se chauffer. […] Et il faut prendre sur les réserves du royaume pour subvenir au besoin des gens, qu’ils travaillent ou non.

John Locke, Que faire des pauvres?, 2013, PUF, trad. Laurent Bury.

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