« Réservoir 13 » de Jon McGregor.

 

Au milieu de l’hiver, au début de ce siècle, une adolescente de treize ans en vacances dans un village du cœur de l’Angleterre disparaît. Les villageois partent à sa recherche, organisent des battues. La police érige des barrages routiers, des journalistes se rendent dans ce village habituellement calme. L’affaire fait grand bruit.

En treize chapitres de treize paragraphes chacun, Jon McGregor fait le récit des treize années qui suivent l’événement. L’enquête qui s’enlise puis repart, les jeunes du village qui grandissent, s’aiment, partent, reviennent, les espoirs des uns, les tristesses des autres, les renardeaux qui grandissent et deviennent renards, les réservoirs qui s’emplissent et se vident au gré des saisons et des pluies. En phrases courtes où s’entremêlent les destins des choses, des animaux et des êtres humains, Jon McGregor détaille avec mesure et précision la vie comme elle passe. Alors que toujours, tous se souviennent.

Les gens voulaient que la fille revienne pour qu’elle puisse leur dire où elle était allée. Il y avait trop de façons dont elle avait pu disparaître, et on y réfléchissait, souvent. Elle avait pu descendre de la colline en courant et un automobiliste avait pu l’arrêter pour lui proposer de la déposer quelque part, puis l’emmener, puis enterrer son corps dans un dense fourré d’arbres à côté d’un échangeur à cent cinquante kilomètres au nord, où elle devait encore reposer aujourd’hui, dans le sol humide et froid. On rêvait qu’elle marchait jusqu’à chez elle. Quelle marchait à côté de l’autoroute, qu’elle marchait à travers la lande, qu’elle grimpait pour sortir de l’un des réservoirs, qu’elle émergeait de l’eau gris foncé, les cheveux flottants et les vêtements enveloppés de longues algues vertes.

Comment la vie, toujours, prend-t-elle le dessus? Comment un fait, aussi marquant et sordide soit-il, peut-il peu à peu, sans cependant jamais disparaître tout à fait, laisser la place aux actes les plus dérisoires qui soient? Comment accorder une importance quelconque, aussi bénigne soit-elle, au vent, à un jeu de lumière, à un geste banal, alors que le pire drame qui puisse être se joue encore? Un enfant disparaît, tout le reste ne devrait-il pas suivre?

Jon McGregor réussit à enfoncer son lecteur dans le corps même de son récit. Comme chaque habitant du village, il veut voir revenir la jeune fille, ou du moins, les années passant, apprendre ce qui lui est arrivé. Au début, peu après l’événement, rien d’autre que lui ne compte. Tout le reste paraît incongru. Et ce qui gêne l’inquiétude de l’habitant parait venir déranger le récit du lecteur. Mais peu à peu, année après année, comme les habitants du village retournent à leurs occupations – et ce alors même que les gestes, in fine, restent les mêmes – le lecteur en vient à considérer, page après page, que ce qui fait le sel de sa lecture n’est peut-être pas le traumatisme qui l’avait déclenchée. En subtil virtuose, Jon McGregor est parvenu à faire s’épouser le rythme de la lecture et celui de la vie.

Ça continuait comme ça. Voilà comment ça continuait.

Jon McGregor, Réservoir 13, 2019, Christian Bourgois, trad. Christine Laferrière.

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