Revue Critique : Pierre Guyotat.

GuyotatAu risque de paraître péremptoire – qui ne risque rien… -, Pierre Guyotat est le seul écrivain qu’un lecteur devrait se donner la peine de lire si, pour diverses raisons, il n’en avait qu’un à lire. Pourtant, l’importance que la critique – du moins celle qui s’attelle à défricher l’espace littérature plutôt qu’à en vendre les pâles succédanés – lui reconnaît presque unanimement est à l’image inverse du nombre restreint de ses lecteurs. Cataloguée « avant-garde », « difficile », « obscure », « élitiste », « incompréhensible », son oeuvre parait ainsi condamnée à la discrétion maudite des expériences survenues trop tôt trop fort. Il n’est donc jamais trop d’une publication se donnant pour propos de l’éclairer. On ne peut donc que se réjouir que la revue Critique – qui a toujours fait montre d’une grande fidélité à l’oeuvre de Guyotat – ait décidé de lui consacrer un numéro spécial.

Ouvrant sur un inédit de 1962, La prison, suivi d’un autre, Parlerie du rat, toujours en travail et devant faire partie de Géhenne (ouvrage à paraître, depuis longtemps annoncé, et fébrilement attendu), la revue s’articule ensuite autour d’une douzaine d’articles critiques, s’intéressant chacun à une ou deux œuvres de Pierre Guyotat.

Un des premiers mérites de ce numéro spécial est, en donnant à lire ces deux textes inédits écrits à plus d’un demi-siècle d’écart, de mettre en perspective l’inlassable cheminement de son auteur. Moins essai d’y lire une évolution forcée, voire un progrès quelconque qui l’aurait fait glisser cinquante ans plus tard vers un choix différent d’écriture que mise en perspective de ses deux « façons » d’écriture, celle en langue française normative (Arrière-fond, Eden eden eden, par exemple…) et celle des textes dits « en langue » (Joyeux animaux de la misère, Prostitution, etc..), cette simple juxtaposition de deux textes permet en effet d’observer à la fois la continuité d’une recherche et la diversité des moyens mis en oeuvre pour la faire aboutir.

Une prison est l’endroit le plus bas du monde. La pensée y est couverte, le dos courbé. On s’y habitue au sordide. On ferait l’amour sur la terre battue.

Nullement obsession du sordide, ni fascination de l’abject, l’oeuvre de Pierre Guyotat est une tentative menée par son versant extrême de donner à la langue des moyens neufs pour exprimer la totalité et la beauté du monde. L’ampleur des moyens nécessaires étant à l’échelle de l’horreur qu’ils sont censés désamorcer, si le beau peut sourdre des lieux que parcourt l’auteur, alors il peut sourdre de partout.

Les textes proprement critiques, quant à eux, sont à l’image de la diversité des textes qu’ils s’essaient à couvrir comme de celle de leurs auteurs respectifs. Passionnés, jamais inutilement didactiques, souvent pertinents, ils pêchent cependant parfois par un manque d’ouverture. Plutôt destinés à un public de convaincus, ils leur apporteront plus de quoi les convaincre mieux encore qu’à élargir leur cercle. Par ailleurs – et l’exercice de la critique en revue en offre bien d’autres exemples -, ces exercices critiques sont parfois malheureusement moins une véritable tentative critique qu’une occasion prise par les exégètes de forcer le sujet « Guyotat » dans leurs catégories habituelles ou de se servir du nom « Guyotat » comme d’un piédestal sur lequel hisser le leur. On y trouvera ainsi une analyse fort inutilement « communiste » de Tombeau pour cinq cent mille soldats ou la vantarde et plus inutile encore référence au propre travail de l’exégète en mal de publicité, dans le sein de l’article même. Nonobstant ces bémols – qui finalement prêtent assez à rire -, ce numéro spécial est une excellente occasion de lire encore un peu plus à propos d’un auteur essentiel. Et, après tout, deux inédits du génial Guyotat valent largement bien quelques haussements d’épaules collatéraux…

Revue Critique, Pierre Guyotat, dirigée par Donatien Grau, avec des articles de A. Badiou, R. Brassier, C. Brun, P. Brunel, E. Coccia, M. Ferrier, T. Garcia, D. Grau, A. Jefferson, C. Malabou, T. Samoyault, E. White, M. Zink., 2016.

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