« Sorcières » de Mona Chollet.

 

La sorcière ne fut pas que condamnée, torturée ou brûlée parce qu’elle était ou représentait quelque chose qu’une autorité religieuse désirait combattre et faire taire. Derrière l’imagerie d’Épinal attachée au terme « sorcière » se dissimulent des réalités autres. Non, la sorcière ne fut pas pourchassée uniquement au moyen-âge mais aussi lors de la Renaissance. Non, la religion ne fut seule à faire peser sur ces sorcières son joug mortel. Non, ce que l’on désigne par « sorcière » n’est pas que le pendant simplement sémantiquement féminisé du « sorcier ». Le traitement réservé aux sorcières, ainsi même que leur définition, ne peut être expliqué pleinement sans la misogynie. Et l’éclairage historique neuf ainsi porté sur ce fait particulier permet indubitablement de lire plus complètement – et donc mieux – la condition qui fut réservée aux femmes à travers l’histoire.

Là où le bât blesse c’est qu’à la rigueur d’une analyse détaillée ou transversale de son sujet de départ, l’auteure a préféré la facilité d’une confirmation au forceps de quelques lieux communs.

Les hommes, en effet, ressentent la plus petite brise d’égalité comme un typhon dévastateur – un peu comme comme les populations majoritaires se sentent agressées et se voient à la veille d’être submergées dès que les victimes du racisme manifestent la moindre velléité de se défendre. Outre la répugnance à renoncer à ses privilèges (privilège masculin ou privilège blanc), cette réaction trahit l’incapacité des dominants à comprendre l’expérience des dominés, mais peut-être aussi, en dépit de leurs protestations d’innocences indignées, une mauvaise conscience ravageuse (« Nous leur faisons tant de mal que si nous leur laissons la moindre marge de manœuvre, ils vont nous détruire »).

Aujourd’hui, celle qui partage sa vie avec un homme et des enfants doit toujours lutter de toutes ses forces si elle ne veut pas devenir une « femme fondue ».

Au sein de la famille hétéroparentale, les besoins d’une femme doivent toujours s’effacer devant ceux de son compagnon et de ses enfants.

Chez Mona Chollet, ce sont donc les hommes, non certains hommes, qui sont des dominants. Et que cette domination soit exercée en toute conscience ou à leur corps défendant, rien finalement n’y change. Pas même la proclamation de leur innocence, qui n’est dictée, au mieux, que par la crainte hypocrite de ne plus pouvoir assurer leurs privilèges. Tous coupables, même les innocents… Selon la même logique, la femme doit toujours lutter contre l’homme ou l’enfant. Quoi qu’il en soit, où et quand que l’on soit, la lutte est toujours le marqueur paradigmatique qui vient souligner les rapports homme-femme. Du moins donc chez les blancs hétérosexuels…

Au-delà des amalgames (où l’on retrouve placés dans un fourre-tout maléfique le blanc, l’hétéro, l’homme, le capitalisme, la misogynie, l’expert, la raison)  que l’auteure « n’étaie » qu’en recourant systématiquement à des sources qui ont déjà fait en leur temps l’objet de nombreuses critiques solides, ce qui pose surtout question ici est l’essentialisation du débat. L’individu est gommé. Il n’y a plus d’homme ni même de femme. Il n’y a plus que  des ersatz d’êtres cloîtrés en tout temps et en tout lieu dans le carcan de leur destin. Et cette réduction à l’état d’essence de l’homme (ou du blanc, ou du scientifique, ou…), combinée à la légèreté des « preuves » qui sont censées appuyer son discours rend celui-ci, au mieux inaudible, au pire contre-productif. Face aux lieux communs, il ne sert à rien de contribuer à en ériger d’autres. À l’heure où certains des progrès quant à la place de la femme dans la société (indéniables en Occident) tardent à se traduire dans les faits et où les mouvements dits conservateurs ont le vent en poupe, ce manque de rigueur n’est pas que risible. Il donne malheureusement du grain à moudre à tous ceux qui, au mieux, défendent le statu quo, au pire, rêvent d’un retour au « bonnes vieilles valeurs »…

Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, 2018, Zones.

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(4 commentaires)

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    • Billye on 23 septembre 2018 at 13 h 31 min
    • Répondre

    Bonjour,

    Pourriez-vous préciser quelles sont ces sources  » qui ont déjà fait en leur temps l’objet de nombreuses critiques solides »?

    Bien à vous

    1. Bonjour,
      Concernant certaines des thèses défendues dans « Caliban et la sorcière » dont s’inspire abondamment Mona Cholet, il y a par exemple cet article paru dans Médiapart. Il offre une synthèse étayée et solide des critiques qu’on peut émettre sur ce texte : le voici.
      Vous y trouverez qui plus est pas mal de références.
      Bonne journée.

    • Crocuta Galaxy on 18 septembre 2018 at 1 h 09 min
    • Répondre

    Ouaouh, je n’aurais pas pensé trouver ici, un endroit réputé civilisé, une attitude aussi emblématique de la réaction dite de « not all men ».

    Au fond, de la même manière que les pauvres doivent en permanence lutter contre les riches, les employés contre les patrons et les canards contre les tournebroches en général, sans doute les femmes se voient-elles bien obligées de lutter quotidiennement contre leur âme sœur même, de même que contre le fruit de leurs entrailles? C’est tout de même assez singulièrement insensible de votre part de suggérer d’un petit revers de main que d’exposer les choses d’un point de vue agonistique est nécessairement contre-productif. Une telle manifestation n’est pas loin de ce qu’on appelle le « tone policing », c’est-à-dire la tendance du dominant à remettre en question les fondements d’un argumentaire sous le prétexte qu’il ne serait pas dans le bon ton, ici donc, trop agonistique, trop frontal. Pourtant nous subissons les effets des privilèges des hommes chaque jour qui passe, aussi parler de lutte, ça ne me parait pas du tout disproportionné, ni contre-productif. Aucun changement social ne s’est vu apparaître en mendiant trois miettes bien gentiment. Exigeons les perdreaux à l’armagnac avec véhémence.

    Je n’ai pas encore lu le livre en question et ne suis pas une fanatique de Mona Chollet, enfin sa condamnation me semble ici un peu péremptoire. Quant à dire que l’existence de cet ouvrage alimenterait les critiques des gens d’extrême-droite et que ce serait mauvais pour la cause, pardonnez-moi de l’écrire ainsi mais c’est véritablement ridicule. Ceux qui adhèrent aux « bonnes vieilles valeurs » sont déjà trop polarisés pour ne serait-ce que découvrir l’existence de ce livre. Et si ça arrivait, et qu’ils trouvaient ça offusquant ou bête, eh bien qu’ils le trouvent. Je conviens qu’il existe des discours de soi-disant « féminisme » peu élaborés qui se contentent de répéter que les femmes sont trop bonnes et les hommes des gros cons fans de foot, mais les ouvrages de Mme Chollet ne m’ont jamais paru manifester d’essentialisation, aussi j’ai quelques doutes sur votre interprétation.

    Comme le racisme, la misogynie gît en chacun·e de nous, hommes comme femmes. C’est simplement cela, la lutte de tous les jours. Ce n’est pas « dresser les femmes contre les hommes » (prière de prendre ici l’accent le plus gras possible). Cette phrase-là, cette idée-là, lorsqu’elle est jetée pour discréditer des thèses féministes, cela, c’est une idée de partisan des « bonnes vieilles valeurs », qui sont celles des familles en paix. Et dans votre rapidité à envoyer au bûcher un bouquin en principe mal ficelé, vous avez produit un argumentaire également mal ficelé, et assez tendancieux. Éventuellement utilisable pour les crétins rétrogrades et kakossiens auxquels vous faites référence, eux qui se fichent d’ailleurs bien de la rigueur académique, si par un concours de circonstances extraordinaire ils atterrissaient dans les commentaires obscurs du site d’une librairie d’affreux bobos.

    Je reviendrai volontiers vers vous après lecture sur ces questions de rigueur et de fraîcheur des sources. Cependant, cela ne retire rien à ma critique de votre attitude. Elle n’a rien d’extraordinaire, et malheureusement même des hommes qui d’habitude montrent intelligence, sagacité et empathie ont cette méchante tendance à refuser de voir leurs privilèges en face. Mon mec ne le fait pas non plus de gaieté de cœur. Je ne le fais pas non plus de gaieté de cœur quand je vois que je suis privilégiée en comparaison à d’autres en étant blanche et éduquée. On a évidemment tous un bon gros biais en faveur de nous-mêmes. Mais j’aurais attendu un peu plus de doute, d’examen et d’ouverture d’une critique de votre part. Ce n’est pas une catastrophe intégrale et certainement pas un objet d’excommunication des discussions sur le genre, enfin ça mérite un peu de réflexion, non?

    1. Bonjour,
      Vous m’avez manifestement mal lu.
      Ce que je critique dans le livre de Mona Chollet (qu’au passage, je ne « condamne » pas ni n’envoie au bûcher, ayant eu soin, il me semble, d’encadrer ma critique de mon intérêt pour son sujet) n’est pas qu’elle mette en exergue le fait que nous soyons, en tant qu’homme, ou en tant que blanc ou qu’amateur de canard à la broche, empreints d’une histoire qui charrie son lot de privilèges. Je suis homme (et blanc et éduqué, et…) et sais que ce faisant je suis dépositaire d’une histoire et que celle-ci m’a octroyé, de fait et à mon corps défendant, de privilèges dont j’ai pu profiter, quand bien même je n’en étais pas conscient. Cela est devenu un truisme (qu’il convient toujours de rappeler, encore et encore!). Mais ce n’est pas cela que dit ici Chollet (et qui fait l’objet de ma critique)! Elle écrit que, passé même cette prise de conscience « historique », les hommes (ou les blancs) seraient incapables de renoncer à ces privilèges, sous prétexte qu’ils « ressentent la plus petite brise d’égalité comme un typhon dévastateur – un peu comme comme les populations majoritaires se sentent agressées et se voient à la veille d’être submergées dès que les victimes du racisme manifestent la moindre velléité de se défendre »… C’est cela qui est essentialiste. Beaucoup d’hommes (ou de blancs, ou de « riches », ou d’hétérosexuels,…) ont (ou ont eu) conscience des privilèges dont ils sont les héritiers ET considèrent comme une chance (et non comme un « typhon dévastateur ») qu’il y ait remise en question profonde d’un système de domination dont ils profitaient. L’histoire, le mécanisme empathique, les neurones miroirs, la philosophie éthique regorgent d’exemples. Le monde que nous dépeint Chollet est non seulement binaire mais aussi irrémédiablement cloisonné. C’est cela que je critique.
      Il faut se garder de ce qui sommeille en nous et peut ici y prospérer si on ne se garde d’en explorer toujours mieux l’histoire. On sera d’accord là-dessus. Mais je crois aussi qu’il convient tout autant de se garder, sous prétexte de défendre et « d’armer » des « dominés historiques », de dépeindre les « dominants historiques » comme un bloc monolithique dont aucun de ses membres ne désireraient se différencier.
      Contrairement à vous, j’ai bien lu le livre dont ma critique se veut un écho. J’ai donc un peu de mal à accepter que ma « condamnation serait péremptoire » ou qu’il serait « ridicule de dire que cet ouvrage alimenterait les critiques des gens d’extrême-droite » alors que vous ne pouvez faire état des causes mêmes de mes arguments.
      Je confirme et signe : ce livre, alors que son sujet est aussi fascinant qu’important, est pétri d’amalgames, de clichés et de biais de confirmation. Et l’étayer de lieux communs contribue à affaiblir d’autant les causes que son auteure clame vouloir défendre.
      Et ce faisant, je ne reviens nullement sur la réalité de la domination historique de l’homme sur la femme, du blanc sur le noir, du pic épeiche sur le xylophage, je n’ai pas à être considéré comme « empêtré dans mes privilèges de classes ou de genre », ni comme un « masculiniste », ni même comme un ennemi d’une cause ou d’un combat que je soutiens par ailleurs. Je ne fais qu’émettre un avis critique…
      L’affreux bobo.

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