« Styx express » de Stéphane Legrand

Car il y a bien une histoire, cette fois, rassure-toi, avec tout ce qu’il faut de péripéties, rebondissements, gens bien curieux, choses étranges et la beauté foudroyante des amours impossibles.

On confirme.  Il y a bien une histoire.  Etienne Celmare est écrivain, fumeur compulsif, et alcoolique.  Dans le désordre.  Il n’a aucun succès, fusse d’estime.  Et d’estime, il en a très peu pour lui-même.  Non content d’être encombré par sa propre personne, il s’est fait nègre d’un auteur à succès, Stéphane Legrand.  Qui n’est autre (mais non, pas l’auteur) que le produit de son invention (celle d’Etienne Celmare).  Et si vous avez suivi jusque là, on est certain de vous perdre après (nous, pas l’auteur).  Car Etienne Celmare est aussi poursuivi par deux Ukrainiens, a une fâcheuse tendance à faire décéder ceux qui l’entourent, est suspecté de meurtre, devient tuteur d’une petite fille surdouée, harcèle son ex-compagne…  Entre autres.  Bref il s’englue dans la « Lose » (qu’il théorise par ailleurs). 

Grotesque, certes.  Imbibé, non moins.  Mais Etienne Celmare, ou le narrateur, ou Stéphane Legrand, observe(nt) le monde d’un oeil acéré et narquois qui vous réveillerait tout déridé et hilare un sharpei narcoleptiqe sous tranquilisants.

La bêtise se lisait à livre ouvert sur ces traits.  Même, à ce point-là, on était presque surpris par l’absence d’une enseigne au néon.

La femme moderne, le dernier Ewigweibliche en date.  Elle ne boit pas mais préfère dite qu’elle s’hydrate.  Elle ne bronze pas au soleil de la Côte d’Azur : elle synthétise de la vitamine D.  Ce n’est pas qu’elle baise, regardez mieux, en fait elle régule sa sécrétion d’hormones.

Le reste est à l’avenant.  On est très loin du potache cependant.  Car sous ce portrait calamiteux et désopilant d’un inapte, en perpétuel mais vain retour sur lui-même, se révèle la difficulté à affronter cette inaptitude.  L’impossibilité logique à en sortir même.  Car, comme le dit si bien le narrateur, (ou Etienne Celmare, ou Stéphane Legrand) qui parvient à insérer dans son roman la propre critique de celui-ci :

Mais, en définitive, l’impossibilité d’assigner à Etienne Celmare une position morale déterminée est une position morale déterminée : la critique en acte d’un monde qui rend impossible ou dérisoire l’existence d’un sens moral, qui rend vain tout accord du sujet avec lui-même sur les problèmes moraux, qui rend incohérente la cohérence avec soi-même.  En sorte que ce livre apparemment erratique est en réalité beaucoup plus pensé que ne les sont ces romans expérimentaux dormitifs que le snobisme du siècle nous inflige à longueur de rentrées.  Mais il l’est sans y toucher, sur l’épiderme, car il est aussi virevoltant et drôle, violemment lyrique et narquois.

Hilarant donc.  Mais pas que.

Stéphane Legrand, Styx express, 2012, Gallimard (coll.  L’arpenteur).

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