« The yankee comandante » de David Grann.

yankee comandanteMorgan était-il un agent dormant des Soviétiques?  Un agent de la CIA sous couverture?  Ou encore un agent ayant décidé de faire cavalier seul?

Connu pour avoir été une des chevilles ouvrières de la révolution cubaine, William A. Morgan intrigue.  Non, précisément, qu’il soit un intriguant mais justement qu’aucune trace tangible de but intéressé, d’inféodation à une œuvre sournoise qui le dépasserait et sous la coupe de laquelle son action se trouverait toute légitimée, aucune trace de cela donc ne peut être valablement étayée par des faits.

Morgan ne travaillait pas pour la CIA, ni pour aucune agence de renseignements étrangère, pas plus que pour la mafia.  Il était là-bas de sa propre initiative.

Et c’est cela qui nous parait si étranger, si peu plausible.  Qu’un homme, sain d’esprit, intelligent, ayant grandi dans un contexte aimant et confortable, puisse accepter de courir de tels risques, jusqu’à en sacrifier sa vie, sans être sous la férule d’une idéologie ou de l’intérêt nous paraît être un non sens.  Et c’est un des premiers mérites de ce livre de David Grann que de nous dévoiler, nous-mêmes, lecteurs, en quête d’une explication, et de dévoiler donc à quel point la recherche de celle-ci ne se fait que dans un cadre bien précis.  Les filtres au travers desquels les actes de Morgan paraissent trouver si pas grâce, du moins explication à nos yeux, sont bien les nôtres, ceux que nous choisissons de lui apposer.  Soit l’endoctrinement, soit l’intérêt, soit la folie.  Si ces raisons ne fonctionnent pas, si elles ne peuvent rendre compte des actes de Morgan (et David Grann, s’aidant des matériaux déclassifiés des services secrets et de témoignages de première main, nous le démontre brillamment), nous en restons un peu ébahis, un peu désemparés.  Nos critères ne sont pas opérants. C’est un peu comme si William A. Morgan ressortait de la fable, du roman et n’avait plus rien de réel.

Herbert Matthews, dans une lettre à Hemingway, décrivit des événements « plus étranges que les péripéties d’un roman, mais néanmoins réels ».

C’est oublier que le réel déborde toujours des cadres avec lesquels nous tentons de l’appréhender.  Les explications « rationnelles », « rassurantes », car appartenant à un cadre (et non parce qu’elles le seraient par essence) n’épousent ni n’épuisent les possibles du réel.  Ce que nous montre David Grann (et Morgan) c’est que, dans ce monde qui semble entièrement gouverné par la « raison » ils se trouve toujours des « raisons » qui lui échappe.  Et qui, pourtant, lui donnent sens…

Pourquoi suis-je ici?  Je suis ici parce que selon moi, le plus important pour un homme libre est de protéger la liberté des autres.

David Grann, The yankee comandante, 2015, Allia, trad. Valeria Costa-Kostritsky

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