« Theaters » de Hiroshi Sugimoto.

theaters

 

Hiroshi Sugimoto est un habitué des séries et des longues expositions. Dans cette série (débutée en 1976, et qu’il abreuve maintenant encore), le principe est le suivant : la photo est réalisée en noir et blanc, le temps exact de la projection d’un film, face à l’écran, parfaitement centré sur celui-ci. Changent la salle, les films (quoique rien ne soit jamais dit de ceux-ci), le type d’installation (intérieur, extérieur, style architectural), l’occupation de celle-ci (public présent ou non), son état (délabré ou non), le pays (USA, France, Italie, Japon, etc…).

Theaters documente ce travail de ses origines à l’année 2015, en en suivant la chronologie et ne donnant comme élément extérieur à l’image que le nom de la salle de cinéma, le lieu et l’année de la photo. Sur chaque page, le cliché est représenté aux même dimensions (env. 17 cm x 22 cm).

Le cinéma n’étant techniquement qu’un défilement d’images à un rythme convenu de 24 images par seconde, un film d’environ deux heures donnera à regarder au spectateur environ 170.000 images arrêtées. En en réalisant une photographie dont la durée de pose est exactement simultanée du temps de sa projection, Sugimoto ressaisit en une image les 170.000 dont seul leur défilement donnait l’illusion d’un temps qui passe. En les arrêtant dans une seule, le photographe matérialise ici – et cette matérialisation n’est pas de l’ordre de la métaphore – ce que le passage rapide de l’une à l’autre finit par dissimuler à qui le regarde. Seul le défilement, in fine, est vu, et non plus les images, fixes, qui le constituent. Le spectateur d’une photographie de Theaters, techniquement (mais une autre technique, sorte de perversion de la première technique cinématographique), voit le film dans sa totalité. Déconstruction d’une magie et donc des conventions – ici véhiculées dans nos manières de regarder – qui la rendait possible, ces arrêts sur images nous offrent une subtile mais abyssale interrogation sur le temps.

Mais si une magie est bien déconstruite, une autre est créée. Car si chaque image d’un film éclaire à tour de rôle un autre endroit du lieu où il est projeté, la lumière que toutes projettent mises ensemble illumine la salle en totalité. Et l’oeil du spectateur de la photo ne guette ainsi plus l’écran. A contrario du spectateur du film, celui de  la photographie se prend à arpenter du regard la salle où il est projeté. L’écran « immobilisé » par Sugimoto est rendu à sa seule fonction luminescente. Il est halo de lumière, système d’éclairage. Et ainsi c’est ce qui existait pour être vu qui se transforme en ce qui permet de voir.

Méditation sur le temps, sur la perception, d’une profondeur rare et d’une beauté sans nom, l’oeuvre de Iroshi Sugimoto – magnifiquement présentée (comme d’habitude) par Xavier Barral – est une indispensable et jouissive école du regard.

Hiroshi Sugimoto, Theaters, 2016, Xavier Barral.

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/theaters-de-hiroshi-sugimoto/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.