Théâtre/Roman » de Louis Aragon.

Louis Aragonje me déplie, me cogne, ah j’ai passé le seuil, « je me crée »…

Alors que Violette vient de le quitter (Est-elle morte?  L’a-t’elle quitté pour un autre homme?), Romain Raphaël voit apparaître un homme dans sa cage d’escalier.  Comme se fait-il qu’il lui rappelle lui enfant?  Ou semble préfigurer ce qu’il adviendra de lui dans ses vieux jours? Qui est-il?  Le suit-il? Est-ce lui qui lui laisse des poèmes sous son paillasson?  Existe-t-il même?  Et ses doutes ne remettent-ils pas en cause l’identité de Romain, voire son existence?

J’ai tout le temps l’impression que quelqu’un farfouille dans mes pensées.

C’est cette sensation là qui vous assaille à lecture de Théâtre/Roman, comme à celle des derniers « romans » d’Aragon.  Celle de ne plus être seul à vous gouverner, à guider votre regard sur les pages.  Et conjointe à celle-là, celle de ne plus pouvoir discerner les lignes que vous croyiez bien tracées entre qui crée et est créé.

De toute façon, c’est du théâtre.  Puisque tout en est, alors?

Certes prolongeant une « tradition » dans laquelle il assume son ancrage, Aragon en redéploie les horizons.  Ainsi pose-t’il la question du théâtre et des parallèles qu’il entretient avec la vie, comme avant lui, par exemple, Calderon, mais en y imprimant les marques nouvelles qu’y appose inévitablement le siècle finissant.  Le théâtre est toujours le miroir de la vie, mais un miroir brisé, fragmenté, dont l’auteur (mais qui est-ce cet auteur?) se propose de ramasser les morceaux.  Freud, le structuralisme, les idéologies du vingtième, etc… sont passées par là qui diffractent le sujet et en rendent illusoire l’unité.  Le metteur en scène, l’auteur sont donc là pour, à défaut d’en recoller les morceaux, en dire le désordre, l’enserrer dans une perspective.

il y a des choses qu’on fait comme ça qui ne doivent rien à l’auteur.

Approfondissant jusqu’au vertige d’ancestrales questions, Louis Aragon parvient à en affiner les contours.  Non pour y répondre.  Mais pour, superbe minimum de l’auteur, les poser autrement.  N’épargnant jamais le lecteur (en ce compris par certaines longueurs involontaires), Louis Aragon le contraint, s’il le suit (ou le précède) à questionner profondément qui il est.  Et parvient à dresser le catalogue de ce que peut la littérature.

Il faudrait tout relire, tout revoir, pour savoir qui invente.  Qui est le modèle et qui le reflet.

Ce qui fut songe d’un crée en l’autre la vie

Louis Aragon, Théâtre/Roman, 1974, Gallimard.

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