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Vieux brol 1 : « De la nature » de Lucrèce.

De la natureNe subsiste bien souvent de certains livres, dans nos esprits assommés par la « nouveauté  » , qu’une vague idée, que le souvenir lointain (et bien souvent déformé) de commentaires.  N’en surnage que l’impression d’un déjà connu, d’un déjà lu, qui les fait irrémédiablement verser dans les limbes de ce qui n’est définitivement plus à lire.  D’où l’idée de cette série de chroniques de retours aux textes lus.  Sans commentaires.

O misérables esprits des hommes, ô coeurs aveugles!  Dans quelles ténèbres et dans quels dangers s’écoule ce peu d’instants qu’est la vie !  Ne voyez-vous pas ce que crie la nature?  Réclame-t-elle autre chose que pour le corps l’absence de douleur, et pour l’esprit un sentiment de bien-être, dépourvu d’inquiétude et de crainte?

Pour moi, j’ai beau ignorer ce que sont les principes des choses, j’oserais pourtant, et sur la simple étude des phénomènes célestes, et sur bien d’autres faits encore, soutenir et démontrer que le monde n’a nullement été créé pour nous par une volonté divine : tant il se présente entaché de défauts!

aux gémissements funèbres se mêlent les vagissements que poussent les nouveaux-nés abordant aux rivages de la lumière ; aucune nuit n’a succédé au jour, aucune aurore à la nuit, qui n’ait entendu mêlés aux vagissements douloureux les plaintes et les pleurs, compagnons de la mort et des noires funérailles.

Aussi, je le répète encore, il te faut avouer qu’il existe ailleurs d’autres groupements de matière analogues à ce qu’est notre monde que dans une étreinte jalouse l’éther tient enlacé.

il faut chasser et culbuter cette crainte de l’Achéron, qui, pénétrant jusqu’au fond de l’homme, jette le trouble dans la vie, la colore tout entière de la noirceur de la mort, et ne laisse subsister aucun plaisir pur et sans ombrage.

Aussi les hommes, sous la contrainte de leur vaine terreur, veulent fuir loin de ces maux et les écarter loin d’eux : ils versent alors le sang de leurs concitoyens pour enfler leurs richesses [...] cruellement ils se réjouissent des tristes funérailles d’un frère, et la table de leurs proches leur est un objet de haine et d’effroi.

La mort n’est donc rien pour nous et ne nous touche en rien

Et toi, tu redouteras, tu t’indigneras de mourir?  Toi qui, jouissant de la vie et de la vue, ne mènes guère qu’une vie morte, qui gaspilles dans le sommeil la majeure partie de ton âge, qui ronfles tout éveillé, sans cesse hanté par les songes, l’esprit tourmenté par une vaine terreur, et sans pouvoir jamais trouver la source de ton mal, alors que, pauvre homme, tu es dans ton ivresse pressé, accablé de mille maux, et que tu flottes et titubes, ballotté au gré des erreurs de ton esprit?

et comme notre doctrine semble trop amère à qui ne l’a point pratiquée, comme la foule recule avec horreur devant elle, j’ai voulu te l’exposer dans l’harmonieuse langue des Muses, et pour ainsi dire, la parer du doux miel poétique.

Or, quel témoignage est plus digne de foi que celui des sens?  S’ils nous trompent, est-ce la raison qui pourra déposer contre eux, elle qui tout entière en est issue?

il vaut mieux jeter dans le premier corps venu la liqueur amassée en nous que de la garder pour un unique amour qui nous prend tout entiers, et de nous réserver la peine et la douleur certaines.

Après s’être soutenu pendant tant d’années, s’écroulera la masse énorme de la machine qui forme notre monde.

Mais comme sa fécondité doit avoir un terme, la terre cessera d’enfanter, telle une femme épuisée par la longueur de l’âge.

la plus grande richesse pour l’homme est de vivre le coeur content de peu ; car de ce peu, il n’y a jamais disette.  Mais les hommes ont voulu se rendre illustres et puissants pour asseoir leur fortune sur des fondements solides, et pouvoir au milieu de l’opulence mener une vie paisible : ambition vaine, car les luttes qu’ils soutiennent pour arriver au faîte des honneurs en ont rendu la route pleine de dangers.  Et même tiennent-ils ce sommet, que souvent, semblable à la foudre, l’envie les frappe et les précipite ignominieusement dans l’affreux Tartare : car l’envie, comme la foudre, embrase de préférence les sommets et tout ce qui dépasse le niveau commun. [...]  Laisse-les donc suer le sang et s’épuiser dans leurs vaines luttes sur l’étroit chemin de l’ambition, puisqu’ils n’ont de goût que par la bouche d’autrui, et règlent leurs préférences sur les opinions reçues plus que sur leurs propres sensations.  Et ce qui en est aujourd’hui, ce qui en sera demain, il en fut de même autrefois.

Lucrèce, De la nature, vers 50 av JC, Les Belles Lettres.

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