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« Zibaldone » de Giacomo Léopardi.

Zibaldone est un terme intraduisible, signifiant approximativement « mélange ».  Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici, d’un ensemble relié de pensées, hétéroclites, sans lien entre elles, sans plan.  Léopardi (1798-1837) a tenu ce cahier tout au long de sa vie, l’annotant tantôt presque compulsivement de longs raisonnements, tantôt passant près d’un an sans y toucher.  Tout y est abordé, de l’histoire à la philologie, des tracas personnels aux considérations philosophiques, de la politique à la linguistique.  Composé sans aucune volonté d’édition, certains fragments sont d’une brièveté qui confine à l’aphorisme, d’autres se déroulent sur plusieurs dizaines de pages.  Et le tout forme un bloc colossal de plus de 2000 pages dans lequel Allia permet de nous perdre après plus de 150 ans d’attente.

Disons-le tout de go, on a pas tout lu.  Car le Zibaldone est de ces monstres de mots dont les entrées sont multiples et se doivent d’être pratiquées sur le long terme.  Comme Les Essais d’un Montaigne à qui la démesure du Zibaldone nous renvoie d’instinct.  Mais comparaison n’est pas raison.  Car si l’ampleur et l’inachèvement des deux les apparentent inévitablement, ils possèdent tous deux leur fulgurance propre.

La raison est une lumière.  La nature veut être éclairée par la raison, et non incendiée.

Giacomo Léopardi est bien de son siècle et, plus encore, le nôtre tient bien de lui.  Car toutes les remises en question de notre temps, radicales comme toute vraie remise en question, de notre temps comme finalement de tous les autres, mieux qu’y trouver un écho, trouve une source dans le Zibaldone.  La nécessité des illusions, la relativité de tout jugement esthétique ou moral, mais surtout un questionnement constant des « certitudes établies » sont les clés de voûtes d’une pensée à laquelle Nietzsche devra beaucoup.  On y reconnaît ce même travail de sape duquel « l’évidence » ressort déchiquetée.

Le réel n’étant rien, il n’est rien de réel ni de substantiel dans le monde que les illusions.

Apprenons à nous faire de la « possibilité » une idée plus étendue que l’idée commune, et de la « nécessité » et de la « vérité » une idée beaucoup plus restreinte. 

Que le Zibaldone n’ait pas été pensé en fonction d’une publication par son auteur, n’est pas anecdotique.  Car cette libération du poids qu’être lu suppose permet une rare proximité.  Pas d’artifice, seule la volonté de se rendre, par l’exercice de l’écriture, une pensée claire à soi-même.  Pas de mauvaise foi dans l’approximation d’une lecture ou dans l’approche d’un auteur, juste la volonté, pour soi-même, d’aller à l’essence du propos visé.  On est face à un penseur d’alcôve.  Et dont la pensée n’a pas pour vocation à en sortir.

Le Zibaldone est un texte essentiel dans lequel s’immerger rend autre.  Il est un texte immense, démesuré, et qui ne parvient pourtant jamais à se clore, pas même dans un lecteur, les etcerae innombrables renvoyant aux prolongements infinis auxquels il l’enjoint.

Le Zibaldone est un exercice d’accoutumance qui répète et se reprend sans cesse jusqu’à transformer la réflexion en habitude, c’est-à-dire en nature. […] la société isole l’homme parlant de sa racine substantielle, la civilisation assure la tranquillité et le maintien du néant de l’existence humaine; les oeuvres de génie, elles, ont le pouvoir de le représenter.

Giacomo Leopardi, Zibaldone, 2004, Allia. (La dernière citation, parfaite, est reprise de la préface écrite par le traducteur, Bertrand Schefer, dont il faut louer l’exceptionnel travail.)

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