« 1839. Daguerre, Talbot et la publication de la photographie » de Steffen Siegel.

Ce livre constitue une anthologie (considérable, l’ensemble pèse plus de 600 pages) de textes français, allemands ou anglais en tout genre parus l’année même – ou un peu avant – de l’annonce faite à l’Académie des Sciences parisienne d’un nouveau procédé, attribué à Louis Daguerre, qui permet de fixer les images se formant au foyer d’une chambre obscure. Au travers de ces articles de journaux, lettres, descriptions techniques, textes de loi cherchant à récompenser l’inventeur, c’est tout le contexte de l’émergence d’une technique révolutionnaire qui est saisi. Non seulement celui, bien précis, de la photographie – ou plutôt de sa médiatisation, car la technique, elle ou sa possibilité, existe déjà – mais aussi, plus largement, de la fabrication d’un savoir autour d’elle. Autrement dit, ce qui est saisi ici est bien moins l’instant de naissance d’une technique que celui d’un discours sur elle.

Songez donc que c’est le soleil lui-même, introduit cette fois comme l’agent tout-puissant d’un art tout nouveau, qui reproduit ces travaux incroyables. Cette fois, ce n’est plus le regard incertain de l’homme qui découvre au loin l’ombre ou la lumière, ce n’est plus sa main tremblante qui reproduit sur un papier mobile la scène changeante de ce monde, que le vide emporte.

Ce livre est donc bien plus qu’un énième livre sur l’histoire des techniques ou de l’art. S’il offre des outils documentaires essentiels à toute personne s’intéressant de près ou de loin à l’émergence de la photographie, son objet profond comme sa mise en œuvre permettent de lui dessiner un destin largement plus universel. L’agencement aussi subtil que dynamique des documents, les brèves introductions à chaque partie, la postface, la (très riche) brièveté de la période prise en compte, tout cela participe à en rendre la lecture aussi plaisante qu’addictive (on est ici pas loin de prononcer l’infernal adage « ça se lit comme un roman »). Avec ces documents écrits sur un temps court – une année à peine – on saisit sur le vif les craintes, les émerveillements, les espoirs que font germer l’émergence d’une technique. On y discerne aussi ce qui peut la sous-tendre, l’honneur ou la vénalité, les conflits individuels ou nationaux dont son avenir dépend. On y décèle l’inquiétude et l’excitation de ce qu’on ne connait pas encore, mais aussi la nécessité faite langue de ne pas se laisser submerger par l’invention et l’émotion qu’elle suscite. Ce livre majeur (qui « se lit comme un roman » donc) renseigne donc remarquablement sur un fait précis : la « naissance » de la photographie (ou « daguerréotype » ou « image à la lumière » ou « dessin photogénique »). Mais aussi, avec la désarmante simplicité que permet un agencement documentaire intelligent, il nous démontre qu’un nouvel objet n’advient jamais sans la création d’un langage qui tente de l’appréhender.

Steffen Siegel, 1839. Daguerre, Talbot et la publication de la photographie. Une anthologie, Macula, trad. Jean Torrent, Jean-François Caro & Sophie Yersin Legrand .

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/1839-daguerre-talbot-et-la-publication-de-la-photographie-de-steffen-siegel/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.