aboli bibelot d’inanité sonore

Chers lecteurs,

Je (pour cette ultime fois, je me permets le « je ») vous informe que ptyx a fermé définitivement ses portes ce 24 juillet 2021.

Lorsque j’ai décidé, il y a aujourd’hui une dizaine d’années, de créer une librairie, il m’était tout de suite apparu que les critères d’exigence auxquels je désirais atteindre impliquaient de facto que je me défasse du fantasme si tenace de la pérennité. L’indépendance, la rigueur, l’orientation critique auxquels j’aspirais m’auraient semblé pâtir d’une volonté de durer. Car perdurer requiert aussi ses accommodements. Qui trop (s’)affûte, (s’)émousse. Donner à la librairie un nom se rapportant à un objet qui n’existe que dans l’esprit de celui qui l’invente participait aussi de cette volonté. Quoi de plus naturel que de mettre un terme à ce qui n’existe que comme forme. Ce moment est arrivé. Le temps est venu de reposer ptyx sur sa crédence…

Certes, ces années ne furent pas de tout repos. Au-delà du travail considérable que représentait mon engagement de ne rien déposer sur les tables de la librairie qui n’ait d’abord fait l’objet d’un jugement circonstancié, l’exigence et la rigueur sont souvent perçues comme excluantes ou élitistes. En matière esthétique où le règne du subjectif et de la « question de goût » sont choses bien ancrées, le recours aux seuls critères du jugement est parfois vécu comme une atteinte personnelle. En termes de pensée critique, la nuance et la complexité sont fréquemment assimilées à de la mollesse, et le rappel de la nécessaire rigueur à une opposition de principe à des idées. Sans parler de l’esprit de sérieux sous lequel les cabotins les plus farfelus dissimulent, pour s’en garder – mais si maladroitement – , le ridicule qui les étayent, et qu’ils enragent de voir susciter ouvertement l’ironie. Il y eu des débats, des polémiques, des attaques à fleuret moucheté, des passes d’armes rhétoriques, des autres pas rhétoriques du tout, des poubelles déversées sur le pas de porte (« l’extrême-droite » choisit les portes), des vitrines salies (« l’extrême-gauche » préfère les fenêtres), des insultes, et même l’une ou l’autre menace de mort. Ce fut très souvent riche, parfois fort drôle, quelques fois moins.

Mais, et c’est là l’essentiel, ce fut une extraordinaire réussite. Pour ne parler que de ce qui ressort du mesurable, si j’étais intimement convaincu, lorsque ptyx a vu le jour, que ce projet pouvait être économiquement « viable », je ne m’attendais pas nécessairement à ce qu’il soit « rentable ». Il faut dire, et c’est un euphémisme, que les interlocuteurs des métiers du livre auxquels j’avais demandé conseil ne s’étaient pas montrés particulièrement optimistes. Sans « best-seller », sans « locomotive », sans « développement personnel », sans « coin-café », sans « péréquation », bref sans proposer au lecteur, non pas même ce qu’il serait censé « rechercher », mais ce qu’on suppose lui savoir « désirer », une librairie était destinée au casse-pipe. Moins de trois ans après sa création, une partie des recettes pouvait être allouée à des associations et je fondais, grâce aux marges dégagées, une maison d’édition au programme fort couteux. N’en déplaisent aux grincheux, aux frileux ou aux paresseux, la soif de découverte, la rigueur, l’exigence, l’intelligence ne sont pas des repoussoirs. Et il est tout à fait possible, même sans aides publiques, de faire de la seule curiosité un réel moteur économique. Ce fut une de mes grandes joies d’en être, jour après jour, l’un des témoins privilégiés.

Tout cela, chers lecteurs, n’aurait bien entendu pas été possible sans vous. Et vos aspirations à découvrir encore et encore m’auront permis à moi aussi de découvrir des pans considérables de savoir. À l’écart des -ismes, des facilités prétendument à la mode, des raccourcis idéologiques, des prêt-à-penser doctrinaux, j’ai pu grâce à vous parcourir des sentiers où je n’imaginais pas même qu’il existât un terrain dans lequel on pût creuser. Et, privilège entre tous, il me fut alors donné d’en indiquer le chemin à d’autres. J’ai cru en la curiosité, comme on a l’intuition d’un concept. Mais c’est la vôtre, réelle et généreuse, qui me permit de pratiquer toutes ces années l’un des métiers les plus passionnants qui soient : celui de passeur! Pour cela, pour nos échanges, votre fidélité, votre amitié, je vous suis infiniment reconnaissant.

Merci.

Emmanuel.

(Derrière la façade laissée vacante de ptyx, vous pourrez retrouver dès ce 16 aout une nouvelle librairie. Celle-ci assurera bien entendu le suivi des commandes et des bons d’achats que vous aurez souscrits auprès de ptyx. Le blog disparaitra ce premier septembre. Les livres de Vies Parallèles resteront disponibles en librairie jusque fin 2022.)

Lien Permanent pour cet article : https://www.librairie-ptyx.be/aboli-bibelot-dinanite-sonore/

1 Commentaire

    • jean-louis massot sur 26 juillet 2021 à 12 h 03 min
    • Répondre

    Que lis-je là ? Ptyx va fermer ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.