« Américains d’Amérique » de Gertrude Stein.

 

Et ainsi jusqu’à son dernier jour l’existence lui serait vraiment présente, jusqu’à son dernier jour elle serait elle-même, sans que le passé, le présent, le futur eussent rien à faire avec elle, jusqu’à son dernier jour il y aurait la vie, les changements, mais jamais une histoire d’elle-même pour elle-même.

S’appuyant sur le mariage de Alfred Hersland et de Julia Dehning, Gertrude Stein se propose d’écrire une histoire croisée de deux familles américaines. Issues de l’immigration, devenues riches grâce aux risques encourus par un parent, empreintes de religiosité, ces deux familles sont l’occasion, pour l’auteure, de nous faire approcher ce qu’est l’Amérique. Saga moderniste où la succession des événements importe autant que la façon dont ils surviennent à l’esprit de l’auteure et dont cette dernière en rend compte, Américains d’Amérique revêt à la fois les oripeaux de la tradition et ceux de la rupture esthétique.

Lorsqu’on étudie les gens, dans leur vie quotidienne, on se sent persuadé que chez tout être vivant, se produit une répétition, qui se manifeste de plus en plus au cours de la vie, et on se sent aussi persuadé qu’un jour sera relatée l’histoire de tous les êtres, donnant ainsi à leur existence une finale consécration.

Si la répétition est bien le moule formateur de toute vie et que la vie même, comme processus, n’est que répétition, il se doit, pour qui veut l’exprimer, d’y recourir également. Le texte de Stein est donc repris et répété. Encore et encore. Mais ces répétitions sont aussi autant d’occasions de préciser mieux et le propos et ce qu’il soutient. Et d’atteindre alors toujours un peu mieux non seulement à ce qu’il y a de partagé dans toutes ces vies, mais aussi ce qui fonde la singularité de chacune. Car c’est cela aussi – et le paradoxe n’est ici qu’apparent – que permet la répétition, d’offrir un fond sur lequel la moindre différence a la possibilité de se détacher.

La réédition de ce chef-d’oeuvre des lettres américaines est l’occasion de redécouvrir encore une fois une parole qui reste, aux antipodes du modernisme auquel on aurait tendance à la confiner, d’une extraordinaire pertinence. Et d’une beauté rare.

Gertrude Stein, Américains d’Amérique, Bartillat, 2018, trad. J. Seillière & B. Faÿ.

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