« Au palais des images, les spectres sont rois » de Paul Nougé.

 

 

Pourquoi il m’arrive d’écrire, pourquoi j’imagine que l’on écrive avec une certaine pertinence? Mais pour déranger son lecteur, pour troubler ses petites ou ses grandes habitudes, pour le livrer à lui-même.

Une Oeuvre peut exister séparément de la volonté qu’il y a eu à la faire, ou de celle qu’il y eut à ne pas voir s’en constituer une. Il n’est pas nécessaire, dans le chef de qui les commet, que ces écrits soient rassemblés, organisés, voire même publiés, pour qu’une logique d’ensemble puisse se dessiner à son propos. Parfois même, il est indispensable que ce ne soit pas le cas, le désordre étant l’une des raisons fondatrices de chacune de ses parties. S’affrontent alors deux logiques opposées, celle de sa constitution et celle de sa réception, les causes présidant à la première compliquant la seconde.

Transformer le monde à la mesure de nos désirs suppose cette croyance que les hommes, dans leur ensemble, sont animés à des degrés divers du même besoin profond d’échapper à l’ordre établi. La validité de l’expérience est liée à l’existence d’un tel désir. 

Paul Nougé était un écrivain de circonstances. Prologues à des expositions de Magritte ou de Jane Graverol, ou des concertes d’André Souris, pamphlets, tracts politiques, lettres pastiches, détournements d’œuvres courtes existantes, appels à souscription, la plupart des écrits de Paul Nougé sont de l’ordre de la réponse ou de l’occasion. Très rares sont ceux qui ont germés d’une intention propre et indépendante de toute circonstance. A cela il faut y voir, en sus d’un probable désintérêt congénital pour sa propre gloire, une conscience décuplée de ce qu’implique l’acte d’écrire. Pour Nougé, écrire c’est agir. Et, pour qui, avant tout, cherche à faire, peu chaut de faire oeuvre.

Comprendre le monde en le transformant, telle est, sans aucun doute, notre authentique fonction. Penser un objet, c’est agir sur lui.

Mais ce n’est nullement parce qu’on écrit titillé par les circonstances, que l’on est écrivain-amateur. Qu’il réponde, potache, à un ministre, qu’il se propose d’introduire à un peintre surréaliste, qu’il détourne un roman érotique populaire ou qu’il propose des aphorismes, toujours, Nougé sait combien son matériau, le langage, est malléable et retors. Et qu’il convient, forts qu’ils sont de vous mener à l’inverse du chemin sur lequel vous croyiez les diriger, de savoir se garder des mots pour les faire peser mieux sur le monde.

La défiance que nous inspire l’écriture ne laisse pas de se mêler d’une façon curieuse au sentiment des vertus qu’il lui faut bien reconnaître. Il n’est pas douteux qu’elle ne possède une aptitude singulière à nous maintenir dans cette zone fertile en dangers, en périls renouvelés, la seule où nous puissions espérer de vivre.

Avec cette édition complète des œuvres anthumes de l’immense Paul Nougé, Allia rend enfin grâce à l’un des plus brillant ciseleur de langue du siècle dernier. S’y devinent certes la gouaille du surréaliste ou les convictions radicales d’un communiste en acte, mais aussi un sémiologue exceptionnel, un « aphoriste » de génie, un maître absolu de la métaphore, et donc – car tout cela, in fine, y revient – l’un des plus brillant et émouvant poète qui soit.

Jamais occasion ne fabriqua si subtil larron!

L’admirable dans l’amour auquel je crois est de tenir dans une vie quelconque, aussi sordide qu’on l’éprouve ou qu’on l’imagine.

… Mais si l’Occident s’enfonçait dans la nuit, l’affreuse nuit de l’indifférence, dont nous ne serions que les dernières et tremblantes lueurs.

La chambre pure qu’il habite ne regarde pas du côté du village. il semble que n’y mène aucun chemin tracé et que les choses qui l’environnent ne soient pas de ces objets que l’on palpe pour s’assurer de vivre. il écoute avec soin le bruissement léger que fait au bord de l’ombre le passage de toutes les couleurs. ce n’est pas le bruit de sa voix qui pourrait entraver le pas si vif de ce monde fragile.

La métaphore ne relèverait pas d’une difficulté à nommer l’objet, comme le pensent certains, ni d’un glissement analogique de la pensée. C’est au pied de la lettre qu’il conviendrait de la saisir, comme un souhait de l’esprit que ce qu’il exprime existe en toute réalité, et plus loin, comme la croyance, dans l’instant qu’il l’exprime, à cette réalité. Ainsi des mains d’ivoire, des yeux de jais, des lèvres de corail.

Il est temps de se rendre compte que nous sommes capables aussi d’inventer des sentiments, et peut-être, des sentiments fondamentaux comparables en puissance à l’amour ou à la haine.

On le sait, la mathématique est un langage, donc un moyen d’agir. Nous sommes délivrés par un langage parfait. Mais n’est-ce pas là le propose de la poésie? La solution heureuse nous délivre de la même façon que le feraient en d’autres circonstances, une image peinte, certaine musique, un authentique poème, – et aussi, à la manière d’un cri, d’une injure, d’un sourire.

Paul Nougé, Au palais des images, les spectres sont rois, 2017, Allia.

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