« Campo francés – Le Labyrinthe magique 4. » de Max Aub.

Les idées ne servent à rien.

En 1939, quelques semaines avant le déclenchement des hostilités par l’Allemagne, des milliers d’espagnols fuient la victoire franquiste. Nombre d’entre eux, civils ou militaires restés fidèles à la République, seront pourchassés puis incarcérés dans des camps français de concentration comme celui de Roland-Garros ou du Vernet. Là se retrouveront mêlés républicains espagnols, juifs d’Europe centrale, intellectuels ou aristocrates au nom à consonance germanique, communistes fervents ou malchanceux. Et parmi tous ceux-ci, personnages réels, il y a Juan, le combattant communiste qui fuit l’Espagne vers Paris, Julio, son frère installé de longue date en France, et Maria, l’épouse française de ce dernier. Tous trois vont être frappés de plein fouet par la démesure absurde et féroce de l’époque.

Pourquoi lire? Pour se faire une idée, il faudrait lire tout ce qui a été écrit…

Ce quatrième volume du chef-d’oeuvre de Max Aub tranche autant par sa forme que par son sujet. Alors que les autres tomes égrainent les événements de la guerre civile espagnole selon un ordre résolument chronologique, celui-ci s’intéresse à des faits postérieurs à la guerre. Alors que les autres parties du Labyrinthe magique sont toutes directement identifiables comme du roman (un roman, certes, dont il revisite les codes), celle-ci parait épouser les formes du théâtre ou du synopsis cinématographique. Mentions des personnages en regard des dialogues, contextes écrits à la façon des didascalies théâtrales, précision des décors : Campo francés, grâce à sa brièveté, son rythme enlevé, ses surprises (quoi, avant guerre, il y avait des camps de concentration en France?), est sans doute la face la moins abrupte par laquelle saisir ce monstre de la littérature.

J’ai appris que dans le monde il existe quelque chose qui fait tout pour qu’on ne m’enlève pas ce que je possédais.

Comment l’indifférence politique devient-elle le terreau de l’impossibilité de la politique? Pourquoi la liberté est-elle en danger dès lors qu’on la pense acquise? Comment un individu peut-il devenir l’outil même de sa destruction? Max Aub, avec Le Labyrinthe magique, a écrit l’un des monuments les plus précis et les plus novateurs de la littérature. Dont il témoigne, à lui seul, de la nécessité…

Max Aub, Campo francés – Le Labyrinthe magique 4, 2010, Les Fondeurs de briques, trad. Claude de Frayssinet.

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1 Commentaire

    • jlv.livres sur 16 mai 2019 à 7 h 32 min
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    « Le Labyrinthe Magique », 2270 pages 19 cm, 6 tomes, aux couvertures en trois couleurs, rouge, or et violet, aux couleurs du drapeau de la 2eme république espagnole. Un sommet….
    Tout d’abord Max Aub. Né en 03, rue de Trévise à Paris, d’un père allemand Guillermo Aub Mohrenwitz, représentant en bijoux pour hommes, mais obligé de s’exiler à Valence, Espagne, en 14 et qui demande la nationalité espagnole en 16. Le petit Max apprend très vite le castillan et n’écrira plus que dans cette langue.
    De cette période, il faut mentionner la rencontre avec Jules Romains en 21. Grand admirateur de cet auteur, Max Aub va essayer de s’inspirer des « Hommes de Bonne Volonté » pour écrire « Le labyrinthe Magique ». Que reste-t’il de ce mouvement « unanimiste » de nos jours ? Cette doctrine doit exprimer « la vie unanime et collective de l’âme des groupes humains » ( ??) et « ne peindre l’individu que pris dans ses rapports sociaux ». A vrai dire je n’ai jamais lu Jules Romains. Je me souviens par compte, rue de l’Odéon, chez un libraire ancien spécialisé dans les Jules Verne (Hetzel couverture rouge, et bleues), de sa collection également des « Hommes de bonne volonté ». 27 volumes, une quantité de personnages à faire passer le Bottin pour un roman d’action. Au hasard, un enfant de Montmartre, des hommes politiques, une famille du 16ème arrondissement, des actrices, mondaines ou demi-mondaines, quelque criminels, un chien, un prêtre, quelques étudiants, entre autres Pierre Jallez, provincial, fils de paysans et Jean Jerphanion, parisien de pure souche. L’action va de 08 à 33, incluant donc la guerre de 14 (« Prélude à Verdun » et « Verdun », ce qui reste fort restrictif)

    Entre autres références, c’est lui qui commandite « Guernica » à Picasso pour l’exposition universelle de 37, et qui aidera André Malraux à monter « Sierra de Teruel ». Excusez du peu. Il sera aussi un temps au secrétariat général du Consejo Nacional del Teatro.
    On retrouve Guernica en filigrane dans le labyrinthe. On sait que le tableau représente un taureau qui vient de violer la jument ? (le peuple espagnol), tandis que trois femmes pleurent et hurlent, essayant de faire la lumière et que la mère et un homme démembré et à l’épée brisée ajoutent à l’horreur. Seule une toute petite fleur, à coté de l’épée, apporte une note d’espoir. Du grand Picasso A voir au Musée de la Reina Sofia à Madrid (je retournerai sans doute le voir dans quelques semaines). Donc dans le livre (Campo de los Almendros), à un moment se pose la question de savoir de qui, du cheval ou du taureau, représente la République et les fascistes. « Picasso n’a jamais répondu à la question de Juan Larrea : qu’est-ce qui représente le fascisme dans « Guernica », le cheval ou le taureau ?». Je crois que la réponse et simple, et comme il est dit plus loin « lui-même ne le sait pas et il s’en fiche ». Pas forcément, je dirai plutôt « Il sait la réponse si évidente qu’il s’en fiche ».

    Pour ce qui est de « Le Labyrinthe Magique », c’est une somme de six livres, publiés de 43 à 68, (« El laberinto magico ») donc depuis juste après on internement en Algérie, à bien plus tard, alors qu’il est installé au Mexique. Rafael López Serrador est le personnage central de tout le cycle. C’est un homme du peuple qui est plus spectateur et témoin qu’acteur de sa vie. Ils viennent d’être, enfin, traduits par Claude de Freyssinet. Il faut noter que la couleur des couvertures par groupe de deux, soit rouge, jaune et violet, correspondent aux couleurs du drapeau de la seconde république espagnole (el tricolor). L’écriture des différents tomes ne suit pas la chronologie des évènements. En plus, Max Aub participe au tournage de « Sierra de Terruel » avec André Malraux. On peut critiquer le film qui était bien un film de propagande, mais il va faire que Max Aub change sa forme d’écriture en adaptant les procédés du cinéma.

    1. « Campo Abierto » (09, Les Fondeurs de Briques, 240 p.). Les débuts d’une guerre qu’on croit « (09, Les Fondeurs de Briques, 430 p.). La guerre, la vraie, à Valence et à Madrid, alors que l’auteur connait, malheureusement déjà, la fin de l’histoire. L’action se déroule de juillet à décembre 36. Elle est essentiellement centrée sur la défense de Madrid avec le célèbre « No Passaran ». le livre se termine avec l’arrivée des Brigades Internationales.
    3. « Campo de Sangre » (10, Les Fondeurs de Briques, 464 p.). La bataille de Teruel en fond, jusqu’au bombardement de Barcelone. Les éléments biographiques de Max Aub sont encore tout frais, car il était à Barcelone en janvier 38 lors des bombardements. On retrouve des personnages déjà croisés auparavant. Ainsi le médecin cynique Julian Templado, et l’intellectuel en mal d’écriture Paulino Cuartero et José Rivadavia, le juge de la République. On découvre aussi Jesus Herrera, le communiste, le type même de l’intellectuel engagé, qui comme André Malraux passe de la parole à l’action, quitte à y laisser sa peau.
    Par la suite, on assiste à la bataille de Terruel, à travers Fajardo et Herrera. Fajardo est chargé de l’évacuation des blesses. Harassé de fatigue, il convoie do Leandro, archiviste, qui a été blessé à la jambe. Son discours se veut un récapitulatif d’épisodes sans doute glorieux de l’histoire de l’Espagne. Mais cela est raconté dans un demi sommeil selon un long monologue (très beau passage) qui en fait une réalité plus qu’idéalisée. Un très grand passage de tout l’ouvrage, peut être celui que je préfère.
    Puis une dernière partie se déroule à nouveau à Barcelone, sous les bombardements qui sont devenus quotidiens. Le tome se termine d’ailleurs avec un Barcelone en flammes, la raffinerie de pétrole à Montjuic est en feu. La tension au sein des républicains est très forte, les interrogatoires s’intensifient ainsi que les exécutions qui suivent. L’Espagne des républicains devient de plus en plus chaotique. C’est aussi le moment où Max Aub nous décrit le déménagement des œuvres d’art du Prado vers la Catalogne.
    4. « Campo Frances » (10, Les Fondeurs de Briques, 176 p.). Le début de l’exode des civils vers les camps en France. Le livre a été écrit alors que Max Aub partait en exil au Mexique, durant la traversée de Casablanca à Veracruz en 42. L’action se déroule depuis la Retirada (janvier 39) jusqu’au début de la seconde guerre mondiale (octobre 1940). C’est la description de la souffrance humaine, longue parenthèse sur le déroulement des actions militaires. Le tournage de « Sierra de Terruel » se fait sentir, en ce sens que le livre devient une suite de séquences plus courtes. Les séquences autobiographiques montrent le stade de Rolland Garros et le camp du Vernet, lieux où les espagnols, dont Max Aub, ont été enfermés. D’autres séquences, plus courtes montrent les routes de l’exode, des scènes de la vie quotidiennes comme le cinéma, le café ou les bureaux de la préfecture de Police.
    5. « Campo del Moro » (11, Les Fondeurs de Briques, 272 p.). Dans Madrid bombardée, alors que tout s’effondre. On retourne à Madrid, donc plus tôt dans l’époque, en mars 39. La Catalogne est perdue et le gouvernement Negrin s’est réfugié en France. Madrid continue cependant de résister. Le président Azaña s’exile à son tour en France et ne reviendra plus en Espagne. Pour les communistes, c’est la période de résistance à outrance, pendant que les se déchirent. On affaire à une guerre dans la guerre. En face, Franco reste inflexible. La guerre n’a servie à rien.
    6. « Campo de los Almendros » (11, Les Fondeurs de Briques, 688 p.). La nasse d’Alicante se referme sur les combattants et où tout va se terminer. Ce sont les derniers jours de la guerre civile espagnole, vus essentiellement à travers les carnets de Ferris, écrivain en herbe (alter ego de Max Aub). La défaite de l’armée républicaine est programmée. La déroute de milliers de civils aussi. Deux moments forts dans ce désastre. Le repli des familles sur le port d’Alicante en mars 39 devant l’avance des franquistes. L’attente ensuite, interminable des bateaux anglais et français. Ceux-ci n’arriveront jamais. Le port d’Alicante est un piège qui se referme sur cette population en fuite et la mer se transforme en muraille. Ils vont se retrouver enfermés dans le « Campo de los Almendros » (le champ des amandiers) et livrés à leur sort de perdants.
    A signaler tout de suite, que le terme « Campo » est assez ambigu en espagnol, puisqu’il désigne à la fois le camp (de rétention dans le cas de Campo de Almendros – camp des amandiers), mais aussi le champ au sens sémantique (Campo de Sangre – champ du sang), ou encore le terrain (Campo Abierto- champ ouvert), ou la campagne (Campo del Moro – campagne du maure).
    Au vu des 2270 pages, il serait illusoire de les résumer, cela d’autant plus que, fidèle à Jules Romains, il s’agit de courts passages, regroupant une série de personnages, que l’on retrouve dans les différents tomes, à des épisodes variés de la guerre et de la situation du peuple espagnol en général. Ce n’est pas non plus une chronique plus ou moins romancée de la guerre. Les épisodes sont d’ailleurs traités différemment dans les tomes, avec une découpe quasi théatrale, comportant des dialogues (Campo Frances) et une découpe fortement influencée par le cinéma (Campo Frances, après le tournage de « Sierra de Teruel » avec André Malraux). En fait il s’agit d’un véritable labyrinthe (le terme revient souvent dans les différents tomes). Le titre est parait il emprunté de Saint Augustin, en tant que parcours quelque peu tortueux dans la recherche de la vérité.
    Il est vrai que les différents parcours des personnages sont pour le moins chaotiques. Il n’existe pas de chemin clair vers une Espagne nouvelle. Ainsi le père d’Asuncion, personnage que l’on retrouve dans toute l’œuvre a été fusillé par son propre camp, dénoncé pas son épouse afin de vivre plus tranquillement avec son amant. Est ce pour cette raison qu’Asuncion et Vicente vont se conduire en amants, souvent éparés, certes mais fougueux (Campo de los Almendros). Dénonciations aussi dans l’entourage de Rafael Lopez Serrador, le personnage central de « Campo Cerrado ». De même la mère qui dénonce les amis de son fils venus « parce qu’ils avaient écouté une radio ennemie » ou Claudio Luna, ex-phalangiste qui assure « qu’une bonne trahison arrange bien les choses » (Campo Abierto).
    Ce labyrinthe est autant un parcours entre les personnages (cf le couple Vicente et Asuncion, qui passent leur temps à se chercher, se retrouver et se séparer, Julian Templado, médecin désabusé, Paulino Cuartero, l’intellectuel dont on se demande s’il écrira réellement, José Rivadavia, le juge de la République ou encore Jesus Herrera, le communiste militant), les situations (attente et inquiétude dans la souricière du port d’Alicante, où les derniers résistants attendent des bateaux qui ne viendront pas, le déménagement assez surréaliste des œuvres du Prado, ou de celles qui vont être cachées dans un endroit connu d’une seule et unique personne), d’actions (les premiers bombardements sur Barcelone ou Madrid, la batille de Teruel) ou encore des réflexions sur l’art, la guerre (le long monologue de Don Leandro, archiviste, blessé qui ré-écrit l’histoire de l’Espagne). Ce long passage, quasi surréaliste, est à lui seul, à mon avis, un des moments forts du (-des) livres. Don Leandro Zamora monologue pendant près de 35 pages, pendant que son compagnon, le capitaine Juan Fajardo est littéralement mort de fatigue. Le tout débute par un coup de canon « Pour nous fixer à la terre et ne pas oublier le ciel » dit le vieil archiviste, gravement blessé, qui mourra à la fin du chapitre. Et on passe en revue les Arabes « Domus Tauri » ou la ligne du taureau qui « enserre les musulman, maure, arabe, bédouin ou espagnol », les anarchistes « Le peuple ne se gouverne pas, mais il se gouverne », et qui finalement meurt après avoir débuté sa phrase par « Les taureaux à longues cornes….» et dont on ne connaitra jamais la suite. Un grand moment (Campo de Sangre).
    Le tout se termine par l’énorme « Campo de los Almendros ». Roman qui décrit la nasse qui lentement se renferme sur les milliers de combattant, enfermés dans le port d’Alicante qui attendent les bateaux britanniques ou français qui devraient les évacuer. Lent enfermement qui naturellement sera sans issue. Le rythme du livre suit cette lente agonie qui dure en fait 5 jours du 27 mars au 1 avril, fin officielle de la guerre. Les jours suivants, qui forment la troisième partie du livre, on va découvrir le cahier de Ferris, écrivain, en quelque sorte l’alter ego de Max Aub, qui prend des notes sur ce qu’il voit afin de témoigner. On voit également apparaitre « les Pages Bleues », ruptures dans le récit, sorte de bilan que fait Max Aub sur ses personnages et les évènements « C’est ici que devrait se terminer Campo de los Almendros » Ce qui suit et autre chose, et pourtant ce sont bien les mêmes et la même histoire ». « Ce qui suit n’est pas un épilogue. Il n’y a pas d’épilogue ».

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