Aub, Max – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Le Labyrinthe magique – 3. Campo de sangre » de Max Aub. https://www.librairie-ptyx.be/le-labyrinthe-magique-3-campo-de-sangre-de-max-aub/ https://www.librairie-ptyx.be/le-labyrinthe-magique-3-campo-de-sangre-de-max-aub/#respond Thu, 06 Apr 2017 08:11:18 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6769

Lire la suite]]> Les vrais fachos ne croient pas en Dieu. Ils croient qu’ils sont Dieu.

Tout le troisième tome de ce monstre des Lettres qu’est Le Labyrinthe magique se déroule entre le 31 décembre 1937 et le 19 mars 1938. La guerre civile espagnole fait rage depuis un et demi. Dans la première partie, nous suivons principalement un médecin cynique et coureur de jupons impénitent, un juge de la République, un intellectuel en mal d’écriture et un fervent communiste, archétype de l’engagé, dans une Barcelone où la mort gît au coin de chaque rue. Dans la seconde partie, Max Aub nous fait accompagner trois personnages (Fajardo, Herrera et le sublime et tragique Don Leandro) dans les ruines de Teruel, très provisoirement et dramatiquement conquise par les républicains. La troisième partie s’achève dans Barcelone bombardée, dans un déferlement de feu et de sang.

Parfois je me demande si je ne suis pas à vos côtés par haine de cette petite bourgeoisie qui m’étouffe : mesquins, minables, misérables, vils vis-à-vis des déshérités, qui vivent à la traîne du népotisme, coincés, avares, respectueux des simonies, obséquieux, rapaces ; versatiles quant au pouvoir en place, rognant l’orteil à tout ce qui sent l’esprit, pas naïvement mais consciencieusement, rongés par l’envie, toujours prêts à se ruer sur les saints ; diligents dans leur profit, paresseux pour celui des autres, arrogants, vains et lâches, des lèche-cul. Leur manière de se procurer de l’argent : les petites affaires, les petites infractions à la loi, la falsification des prix ; des escrocs qui prennent plaisir à faire des entourloupes, des grandes gueules, des hypocrites, des rancuniers. […] Cependant, sans eux nous n’existerions pas.

Dans cette partie du chef-d’oeuvre de Max Aub, (écrite en premier, alors qu’il était en exil, grâce aux bons soins de la France de Vichy), se croisent et s’entrecroisent un nombre incalculable de personnages. Parfois longuement développés lors d’incessantes retouches, souvent traversant le roman comme un quidam traverserait brièvement notre champs visuel pour n’y plus paraître, chacun d’eux constitue comme un gage à une nouvelle forme de réalisme. Où toutes les vies, réelles ou imaginaires, tragiques ou comiques, brèves ou longues, concourent à fabriquer un réel « plus vrai que nature ». Et qui peut-être est seul à même d’approcher cette période de luttes mortelles pendant laquelle, au nom d’une vie meilleure, on en sacrifie tant.

Ce qui demeure c’est la littérature ; ce qui s’en sort. Et moi je veux m’en sortir.

Qu’il soit possible d’aimer dans la violence. Que des engagements contraires et vécus jusqu’au bout n’excluent pas l’amitié. Que des êtres puissent s’investir dans des projets radicaux malgré des doutes, et sans faire fi de ceux-ci. Dans les événements qu’expose Max Aub, ces actions précisément documentées, ce maelström, ce labyrinthe de faits, de geste et d’êtres, aux antipodes d’une réalité historique partisane, c’est l’homme lui-même qu’il cherche à dépeindre.

Quoi? Qu’est ce qu’un homme?

Max Aub, Le labyrinthe magique – 3. Campo de sangre, 2010, Les Fondeurs de brique, trad. Claude de Frayssinet.

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La guerre avait fait tomber beaucoup de barrières.

Chose bien étrange que la postérité littéraire. Ainsi le nom de Max Aub n’évoque t-il pas grand’chose pour le lecteur francophone alors même que Le Labyrinthe Magique, son oeuvre phare, est considérée par les locuteurs espagnols comme l’une des grandes œuvres du vingtième siècle.

Tout ce qui compte pour moi, c’est de savoir ce qu’est l’homme.

Ouvrage-fleuve de plus de deux mille pages, organisé en 6 parties dénommées « Campo », composée sur près de vingt-cinq années, Le Labyrinthe Magique prend comme toile de fond la guerre civile espagnole entre 1936 et 1940. Alors que le premier Campo (Campo cerrado) s’intéressait aux premiers soubresauts de la guerre civile, de la chute de la monarchie jusqu’au déclenchement proprement dit des combats en 36, la deuxième partie, elle, débute à Valence en juillet 36 pour s’achever par la relation en novembre de la même année de la bataille de Madrid. Mais, si la guerre civile est bien omniprésente, si sa chronologie est scrupuleusement épousée par le récit, si s’y découvrent bien tous les événements tragiques qui ont émaillés le conflit, ainsi que les noms de ceux qui, historiquement, y ont joué leur rôle, le sujet de l’oeuvre n’est nullement la guerre civile espagnole. Celle-ci n’en est bien que la toile de fond.

Celui qui sait pourquoi il agit est libre. Toute autre liberté est pure illusion. 

En utilisant la trame d’une tragédie historique pour ancrer ses récits, l’auteur, ici, leur donne une épaisseur « réaliste » – quoi de plus réel que ce qui fut abondamment établi par le document – tout en les investissant d’une redoutable puissance exemplative – quoi de plus révélateur des affres de l’âme humaine que ces moments auxquels se joue sa subsistance même. Comme libéré du souci de la fiction dans le décor, l’auteur peut pleinement se consacrer à élaborer les formes qui permettront de brosser son seul sujet : l’homme.

Nous écrivons et nous vivons en clair pour nos descendants alors que le langage est codé pour nous-mêmes.

En suivant pas à pas Rafaël Lopez Serrador, homme du peuple, dans sa recherche d’idéal pour lequel se battre dans une époque où toutes les idées, radicales et conformistes, conservatrices et progressistes, anarchistes et autoritaires, se côtoient, s’affrontent, se toisent, en narrant la constitution de ce bataillon de coiffeurs qui défendra Madrid, en faisant traverser son récit de multiples personnages et histoires sans lendemain, en enchevêtrant dans la trame principale maints détails qui l’étoffent sans jamais l’étouffer, en changeant sans cesse de focales, en faisant se succéder les formes du discours, en maniant une plume tour à tour détachée et factuelle, tour à tour au plus près des corps, Max Aub est parvenu à bâtir à la condition humaine l’un de ses monuments les plus beaux

Jacinto Bonifaz se demande comment il a pu se mettre dans un tel pétrin. Qui lui a demandé de s’y mettre? Maintenant, il pourrait être tranquillement assis devant la porte de son établissement, lisant La Libertad, précisément à cette heure-ci. Non, il était encore trop tôt, et Roma devait être en train de faire chauffer l’eau pour qu’il puisse se raser, comme c’était l’habitude, avant de s’installer devant son café au lait et sa demi-tartine de pain grillé. Alors qu’il était là, adossé à un tronc d’arbre, un fusil dans les mains. Qu’il soit fait selon la volonté de Dieu. La Casa de Campo. Qui l’aurait dit! Il y a des choses extraordinaires! Mais pour ce qui est du discours de ce matin, comment l’oublier! Tu as été du tonnerre. Voilà le lac, sans une ride, avec un léger brouillard à la traîne. Combien d’années qu’il n’était pas allé à la Casa de Campo! Ça se perd dans la nuit des temps. Avant, il était interdit d’y pénétrer. Puis, quand ça a été possible, il est venu pique-niquer avec Romualda à deux ou trois reprises. C’était vraiment joli. La lumière qui surgit entre les crêtes dénudées des arbres. Et un fusil dans la main. Pour ce qui est de chasser, il n’avait jamais vraiment chassé. Là-bas en Galice, quand il était gamin, avec une carabine que lui avait donnée son oncle Luis. Que sont-ils devenus? Qui se souvient aujourd’hui de la Galice? Et cependant lui s’en souvient. Plus brumeux, plus humide que maintenant. Les sabots boueux sur les sentiers bordés de haies. Et un lapin qui a surgi comme une flèche, il voit encore sa queue blanche, ses pattes arrière, le coup de feu et sa déception. Quel âge avait-il? 16 ans? C’est bien ça, 16 ans. Quelques mois plus tard, il venait à Madrid, au collège mixte, avec le curé. Après quoi, tout est Madrid. Madrid qui est là, dans son dos, protecteur, donnant la couleur qui manque à l’aube. Putain de froid, heureusement que la journée s’annonce belle. Pour les culottes! C’est vrai qu’il est resté trois mois au Maroc. Il ne s’en souvient même plus. Cela remonte tellement loin! La Galice, c’est encore plus loin, et pourtant… Derrière lui est allongé un gras qu’il connaît de vue, de la Casa del Pueblo. Il attend qu’on le tue pour pouvoir récupérer son fusil.

Max Aub, Le Labyrinthe Magique – Campo cerrado, Campo abierto, 2009, Les fondeurs de Brique, trad. Claude de Frayssinet. Tous les autres tomes sont disponibles chez le même éditeur.

Les sons ci-dessus sont issus de la Matinale de Radio Campus, orchestrée d’ouïe de Maître par Alain Cabaux.

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