Claussen, Detlev – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Theodor W. Adorno, un des derniers génies » de Detlev Claussen https://www.librairie-ptyx.be/theodor-w-adorno-un-des-derniers-genies-de-detlev-claussen/ https://www.librairie-ptyx.be/theodor-w-adorno-un-des-derniers-genies-de-detlev-claussen/#respond Fri, 29 Mar 2019 07:32:03 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=8151

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On n’est pas très biographie. Accrochés par l’intérêt qu’on éprouvait pour une pensée ou une oeuvre, les nombreuses fois où nous nous sommes penchés sur un livre censé nous détailler la vie de qui en était l’auteur, nous fûmes déçus. Soit la vie de l’auteur prenait le pas sur notre attente d’en « éclairer » l’oeuvre et nous nous retrouvions alors devant quelque chose d’à ce point détaché de notre intérêt premier qu’il n’en revêtait plus aucun. Soit la volonté affichée du biographe d’expliquer l’oeuvre par la vie occupait à ce point l’espace du livre que celui-ci ne s’affichait plus que comme un énième méta-texte de l’oeuvre elle-même.  Péchant par excès ou manque, la biographie, alors qu’elle se donne précisément pour tâche de le combler ou d’en explorer les moindres recoins, semble irrémédiablement devoir sombrer dans le gouffre entre vie et oeuvre.

[La pensée de Kant] trouve son centre dans le concept d’autonomie, de responsabilité personnelle de l’individu raisonnable, et non dans ces dépendances aveugles dont l’une est la suprématie irréfléchie de ce qui est national. C’est dans l’individu seul que se réalise, d’après Kant, l’universalité de la raison.

Si l’architecture du livre de Detlev Claussen est bien globalement linéaire (on part de la naissance d’Adorno à sa mort), il n’érige pas la chronologie en paradigme du biographe. En maintenant une trame temporelle reconnaissable, il n’hésite pas, tout du long, à devancer le temps ou à le retarder. Une fois c’est l’acte d’enfance qui va servir à « expliquer » la pensée de l’adulte. Une autre fois, c’est le fait survenu à l’enfant qui ne trouve un éclairage que dans ce qui est construit par le philosophe. Là où une rigidité chronologique classique étoufferait le rythme permettant de rendre compte d’une pensée sans cesse en construction, l’auteur, par ses sauts de puce temporel, y introduit une vitalité qui profite autant à l’agrément de lecture qu’à la clarté des idées complexes qui s’y font jour. De même qu’il rompt subtilement avec le classicisme chronologique de la biographie, Detlev Claussen choisit en quelque sorte de décentrer son sujet. Ainsi Adorno est-il autant ici mis en scène que tous ceux qui ont nourri sa pensée. Horkheimer, Kracauer, Mann, Brecht, Bloch, Lang, Marcuse, Benjamin, etc., aux antipodes de satellites gravitant autour d’un centre, sont autant acteurs et artisans de la vie et l’oeuvre d’Adorno que ce dernier des leurs.

L’Autriche tombera entre les mains d’Hitler, et il va, de ce fait, dans un monde complètement fasciné par le succès, se stabiliser de nouveau ad indefinitum et sur la base de la terreur la plus horrible. Il ne fait presque plus aucun doute que les juifs vivant encore en Allemagne vont être exterminés : car ces dépossédés ne seront accueillis par aucun pays au monde. Et une fois de plus il ne se passera rien… 

De cette biographie finalement fort peu « biographique » naît tout à la fois l’image d’un homme visionnaire – la citation ci-dessus date de 1938… – celle de l’époque et de l’entourage qui l’ont permis et celle de la volonté acharnée de certains d’en tirer, via l’exercice d’une intelligence toujours en éveil, les nécessaires leçons. On ne sait si cet homme, ce génie, est bien Theodor W. Adorno, ou même si l’image d’un certain Theodor W. Adorno véhiculée dans ce livre est bien « fidèle » à un quelconque Theodor W. Adorno réel, mais le livre qui en prend le prétexte s’affirme comme l’une des plus passionnantes et des plus remarquables enquêtes qu’il nous ait été donné de lire sur les septante premières années du siècle dernier.

La logique de l’histoire est aussi destructive que les hommes qu’elle produit : où que l’entraîne sa pesanteur, elle reproduit l’équivalent du malheur passé. Normale est la mort.

Detlev Clausen, Theodor W. Adorno, un des derniers génies, Biographie, 2019, Klincksieck, trad. Laurent Cantagrel.

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