Didi-Huberman, Georges – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Désirer désobéir » de Georges Didi-Huberman. https://www.librairie-ptyx.be/desirer-desobeir-de-georges-didi-huberman/ https://www.librairie-ptyx.be/desirer-desobeir-de-georges-didi-huberman/#respond Fri, 22 Mar 2019 07:21:25 +0000 https://www.librairie-ptyx.be/?p=8204

Lire la suite]]>

Oui, les soulèvements échouent le plus souvent.

Écrits sur une période de plus de deux ans, les quarante fragments réunis ici s’intéressent tous à ce que l’auteur nomme « soulèvement ». En puisant abondamment dans l’histoire écrite des idées et des arts des dix-neuvième et vingtième siècle, Georges Didi-Huberman fait d’abord presque oeuvre encyclopédique. Benjamin, Adorno, Negri, Deleuze, Agamben, Debord, Foucault, Fanon, Rancière, Nancy, ,Vidal-Naquet… la liste s’allonge sans fin des noms de ceux qui ont pensé, théorisé, désiré, sous des vocables parfois divers et divergents, ce qu’était pour eux « se soulever » et dont l’auteur détaille ici les écrits. Au travers de ces fragments se donne donc à lire (grâce à un art très maîtrisé de la citation – cet art si cher à Benjamin) une forme de kaléidoscope des façons (ancrées à gauche s’entend!) d’envisager les différentes manières qu’il y a de se soulever. À côté alors de ces intrusions insistantes dans les théories du « soulèvement », Georges Didi-Huberman convoque là une peinture ou un texte de Michaux, là une photographie méconnue des barricades de 1870 ou là encore une prise de vue cinématographique.

De partout le monde se soulève : puissances. Mais partout, aussi, on construit des digues : pouvoirs. Ou bien on se protège au sommet des falaises, d’où l’on croira dominer la mer. Digues et falaises semblent dressées pour contenir les mouvements mêmes de ce qui se soulève depuis le bas et menace l’ordre des choses d’en haut. Les soulèvements ressembleraient donc aux vagues de l’océan, chacune d’elles contribuant à faire qu’un jour, tout à coup, la digue sera submergée ou la falaise s’écroulera. Quelque chose entre-temps, fût-ce de manière imperceptible, se sera transformé avec chaque vague. C’est « l’imperceptible » du devenir. C’est la puissance de la vague – dans tous les sens du mot puissance -, irrésistible mais latente, inaperçue jusqu’au moment où elle fera tout exploser. Voilà exactement ce que des poèmes, des romans, des livres d’histoire ou de philosophie, des œuvres d’art savent enregistrer en le grossissant, en le dramatisant sous la forme de fictions, d’utopies, de visions, d’images en tout genre.

Ce que permet indéniablement, et remarquablement, Désirer, désobéir, c’est de faire le point sur ces pensées qui ont cherché, derrière le fait même du soulèvement, ce que celui-ci, dans la disparité et la multiplicité de ses instanciations, recoupait de commun. Le désir vécu comme tel, la divergence radicale entre pouvoir et puissance, les relations ambivalentes qu’entretiennent révoltes et révolutions, le caractère spontané du soulèvement, etc. au-delà de ce qui divise ceux qui ont analysé et/ou professé le « soulèvement », l’auteur, dans ce panoptique au scalpel, relève d’abord ce qui en fait le commun. Mais aussi, en lui dénichant des expressions moins évidemment théoriques et politiques, majoritairement en provenance du champ esthétique de l’image, quitte à ce que ces expressions inattendues soient venu abreuver après-coup la réflexion théorique en tant que telle (telle l’ange de Klee la pensée benjaminienne), il l’éclaire d’un jour neuf et bienvenu.

La vie est à nous, si l’on y parvient. Un problème supplémentaire à cette difficulté intrinsèque, c’est qu’il n’y a pas de nous pour accorder ensemble les multiples notions à se faire de ce nous.

Le problème est qu’à détailler avec autant de précision, sur cette notion précise, la pensée de la philosophie politique de gauche, on en vient malheureusement à éclairer aussi ses apories. À forcer Spinoza ou Nietzsche à gauche, à chercher à esthétiser la révolte, à chercher à cerner un fait aussi trivial qu’une « révolte » (quel que soit le nom dont on l’affuble) par la production d’allégories ou de métaphores, à s’ingénier à déterminer de quelle notion du désir, lacanienne, freudienne ou nietzschéenne, ressortit le mieux le phénomène du soulèvement, on en vient à se couper de fait de son sujet. Sous le prétexte de toujours chercher à comprendre mieux, on s’enferre dans un verbiage certes beau, certes intelligent, certes pétri des meilleurs intentions, mais creux. À broder sans fin – et même avec intelligence – autour d’un fait pourtant si concret, on le fait disparaître. Comme s’il s’agissait à chaque fois plus de faire advenir un soulèvement selon ses vœux, parfaitement compatible avec l’image qu’on s’en était formé, que de véritablement en étudier les très pragmatiques occurrences pour en tirer des conclusions applicables à chacun. Et malheureusement, l’analyse qui rend ici compte de ses apories, s’y enclos à son tour. Ce qui, paradoxalement, ne la rend cependant pas moins utile.

Georges Didi-Huberman, Désirer, désobéir, Ce qui nous soulève I, 2019, Minuit.

]]> https://www.librairie-ptyx.be/desirer-desobeir-de-georges-didi-huberman/feed/ 0
« Peuples exposés, Peuples figurants. L’oeil de l’Histoire, 4 » de Georges Didi-Huberman. https://www.librairie-ptyx.be/peuples-exposes-peuples-figurants-loeil-de-lhistoire-4-de-georges-didi-huberman/ https://www.librairie-ptyx.be/peuples-exposes-peuples-figurants-loeil-de-lhistoire-4-de-georges-didi-huberman/#respond Fri, 28 Dec 2012 11:56:46 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=1801

Lire la suite]]> Peuples exposésD’abord absents de la représentation, juste figurants d’images mettant sur le devant le personnage important de la « cité », le peuple se voit proposé aujourd’hui une permanente représentation de lui qui n’en est qu’un pâle succédané.  Alors que le peuple n’avait pas d’image, qu’il n’accédait pour ainsi dire pas à sa représentation, les images qu’on lui propose où se mirer le débordent maintenant sans plus jamais s’y attacher, le cernent sans le toucher.  Ces images sont celles d’une « culture » institutionnalisée, étatisée, presque policière, qui n’autorise à voir que les images qu’elle permet, c’est-à-dire domestiquées, aseptisées, vidées d’elles-mêmes, « sages comme des images ».  Cette surexposition (dont la télévision est l’agent redoutable), ce spectacle permanent réalise ce que même le fascisme n’avait pu que rêver : un nivellement, une adhésion entière et inconditionnée en un « même » vulgaire.

Les peuples sont exposés à disparaître parce qu’ils sont « sous-exposés » dans l’ombre de leurs mises sous censure ou, c’est selon, mais pour un résultat équivalent, « sur-exposés » dans la lumière de leurs mises en spectacle.

De cette sur-exposition, il convient d’en saisir l’étalement des mots imposant à tous sa dictature du même, exploités et exploiteurs, sans-papiers et services d’ordre.  Il s’agit de discerner ce même à l’oeuvre pour y résister.

Il faut donc résister à ces langues. Résister dans la langue à ces usages de la langue.

Et cette résistance, Georges Didi-Huberman, en trouve trace entre autre chez Philippe Bazin dont les photographies « froides », extrêmement maîtrisées, retrouvent précisément un visage là où c’est un type que l’on tente d’imposer, créant, à l’irréductible opposé de la photo d’identité, une photo d’altérité.  Dans ses séries de nouveaux-nés ou de vieillards se donnent à voir des regards interrogeant cet informe duquel ils viennent et/ou auquel ils retournent.

Chaque fois […] le visage se souvient d’où il vient, chaque fois il attend l’informe où il va. La communauté de nos aspects humains ne tiendrait-elle pas à la fragilité de cette condition spatiale et temporelle?

Pasolini, Philippe Bazin, (et que la première image en mouvement soit celle d’un peuple sortant de l’usine des frères Lumière n’est-il pas plus qu’un simple hasard, ne résulte t’elle pas d’un choix?) et Wang Bing par exemple ne font rien d’autre que de rendre à l’image du peuple une place qui lui revient, un lieu du commun là où régnait le lieu commun des images du peuple.  Et cette remise en place du peuple passe obligatoirement par l’exposition de ses opprimés, de ses sans-noms.

Pour que soient rendus visibles, pour que soient « exposés » leur impouvoir même « et  » leur puissance, malgré tout, à silencieusement transformer le monde qui commence toujours par deux ou trois gestes : soulever un fardeau, ramasser des crottes sur la route, tasser la terre à ses pieds, recueillir l’eau d’une flaque, cueillir une courgette, protéger la solitude de son repas dans une anfractuosité de la montagne.

Georges Didi-Huberman. Peuples exposés, Peuples figurants.  L’oeil de l’Histoire, 4. 2012. Minuit. 

]]> https://www.librairie-ptyx.be/peuples-exposes-peuples-figurants-loeil-de-lhistoire-4-de-georges-didi-huberman/feed/ 0