Pagano, Emmanuelle – ptyx https://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Thu, 25 Apr 2019 08:01:20 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.1.1 « Serez-vous des nôtres? » de Emmanuelle Pagano. https://www.librairie-ptyx.be/serez-vous-des-notres-de-emmanuelle-pagano/ https://www.librairie-ptyx.be/serez-vous-des-notres-de-emmanuelle-pagano/#respond Fri, 07 Sep 2018 06:19:48 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7787

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Sur terre, ces frontières d’eaux protègent ceux qui restent à l’extérieur. En mer c’est l’inverse : remonter, c’est devenir vulnérable, et descendre trop bas, c’est risquer d’être écrasé par la pression. 

D’un côté, il y a la Caspienne – non pas la mer (qui est en fait un lac) mais un des étangs de la Brenne – et de l’autre l’océan atlantique. Dans le premier, la pêche annuelle se prépare autour de Jonathan, fils, petit-fils, arrière-arrière-petit-fils de la famille Bonnefonds, propriétaire et exploitant d’une ligne d’étangs et des terrains de chasse qui l’environnent. Dans le second, dans un sous-marin nucléaire où il officie pour écouter, David Garreau, ami d’enfance de Jonathan issu d’une famille traditionnellement au service des Bonnefonds, accomplit son dernier service. D’un côté, la tradition qui perdure, teintée de mélancolie ou de paternalisme, en s’accommodant peu à peu de la modernité, de l’autre la technologie la plus pointue qui soit mais toujours à la merci de réflexes aussi vieux que l’humain. Heure par heure, Emmanuelle Pagano nous détaille ce vingt-huit octobre en alternant les voix et souvenirs de Jonathan et de David.

Mais tous les souffles, les cris, les explosions, les éclatements, les craquements, les crépitements, le vacarme d’une bouée larguée par un avion de patrouille maritime, les raclements des chalutiers ratissant les fonds marins, les grondements des pompes des pipelines posées au fond des océans, le grommellement démesuré d’un orage cognant contre la surface, les battements rythmés des grosses et rapides hélices des énormes pétroliers, rien ne masque les soupirs de la Caspienne, dont la masse grave semblait atténuer la propagation.

Ce qu’il y a de fascinant avec Emmanuelle Pagano, c’est qu’elle parvient à coller au plus près de ses sujets – en y intéressant des lecteurs pas toujours gagnés d’avance – tout en leur ménageant et des liens entre eux et une universalité peu décelable d’emblée. Passionnante incursion dans deux univers aussi techniques que paraissant diamétralement opposés l’un de l’autre, Serez-vous des nôtres? interroge nos liens à la nature, à l’histoire, à la tradition, mais surtout ceux qui nous lient les uns aux autres. Dans cette magnifique histoire d’amitié où le silence paraît souvent plus parlant que les plus longs discours, elle démontre avec subtilité que l’eau (Serez-vous des nôtres? et le troisième et dernier tome de son projet la Trilogie des rives) a trouvé ici l’une des ses plus brillantes voies d’accès à la littérature.

Emmanuelle Pagano, Serez-vous des nôtres? Trilogie des rives III, 2018, P.O.L.

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« Saufs riverains. Trilogie des rives II » de Emmanuelle Pagano. https://www.librairie-ptyx.be/saufs-riverains-trilogie-des-rives-ii-de-emmanuelle-pagano/ https://www.librairie-ptyx.be/saufs-riverains-trilogie-des-rives-ii-de-emmanuelle-pagano/#respond Tue, 24 Jan 2017 08:41:35 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6532

Lire la suite]]> Quand on écrit, les choses s’installent dans leur nom.

Le riverain est cet être qui forme communauté et dont son appartenance seule à celle-ci fonde parfois le rejet de ce qui lui est extérieur, et dont le fameux panneau « sauf riverain » témoigne. Mais le riverain est lui-même, étymologiquement, sémantiquement, sur la rive. Il est au bord d’une eau qui le condamne à rester à ses bords.

Celui qui possède l’espace possède le temps. Celui qui parcourt le temps comprend l’espace.

Composé en huit chapitres s’intéressant chacun à huit dates, de moins un million quatre cent mille ans au neuf novembre deux mille quinze, Sauf riverains baguenaude dans l’histoire du Salagou, ce cours d’eau de l’Hérault retenu depuis 1969 par le barrage du même nom et dans celle de l’Alrance, rivière de l’Aveyron barrée depuis 1951 par la retenue de Villefranche-de-Panat. D’un père originaire d’Octon, non loin du Salagou et d’une mère née à Boussinesq, à un jet de galet de l’Alrance, Emmanuelle Pagano utilise le paysage, le document familial, l’archive historique, le souvenir intime pour nous emmener dans les fils d’une narration sans cesse surprenante.

écrire c’est essayer de comprendre au dos des mots.

Qu’elle s’intéresse – et nous intéresse! – à Paul Vigné, qui fonda La Maison du Soleil, aux luttes des paysans du Larzac, à François de Bedos, un facteur d’orgue et gnomoniste bénédictin mort en 1779, à l’étymologie savoureuse de Palavas-Les-Flots ou à la structure de la ruffe, cette roche sédimentaire rouge emblématique de sa région, elle parvient, aux antipodes de l’égotiste auto-fiction, à rassembler tout ce disparate sous autre chose que sa seule intimité.

Comment un livre peut-il dire tout ce que recouvre un lac?

Comme Ctésibios créa il y a plus de deux millénaires le premier orgue en utilisant l’eau, Emmanuelle Pagano, dans ces récits au fil de l’eau, nous convie, en riverains souhaités et accueillis, à lire ce qui est enfoui sous les eaux. Et nous percevons que, de la rive, la seule possibilité pour ce faire réside dans la littérature.

Petite, je ne penserai pas à mémoriser, à écrire : je n’aurai pas si précisément observé toutes ces bêtes et toutes ces plantes à la loupe du langage. J’aurai juste joué dans leurs traces, leurs pollens, leurs cris, leurs odeurs. J’aurai juste vécu. J’aurai vu, senti, touché, goûté, ressenti, avant que l’écriture ne m’enlève toutes ces sensations à son profit. Et je me demanderai quand ça aura commencé, l’écriture, le retrait du monde, cette certitude d’être toujours à côté.

Emmanuelle Pagano, Saufs riverains, Trilogie des rives, II, 2017, P.O.L.

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« Le travail de mourir » de Emmanuelle Pagano & Claude Rouyer. https://www.librairie-ptyx.be/le-travail-de-mourir-de-emmanuelle-pagano-claude-rouyer/ https://www.librairie-ptyx.be/le-travail-de-mourir-de-emmanuelle-pagano-claude-rouyer/#respond Fri, 22 Nov 2013 09:08:22 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=3522

Lire la suite]]> TRAVAIL DE MOURIRce que j’écris n’a pas vraiment de début, pas de fin, et je reviens toujours au même endroit du récit.

Cela s’appelle broder.  Et Emmanuelle Pagano a cette honnêteté de nous avouer dès le départ sa propension à ne pas faire autre chose.  Mais on peut broder de bien des façons.  On peut broder pour tromper des prétendants, telle Pénélope.  On peut broder pour se tromper aussi.  Se livrer toute entière à l’acte de faire et rien qu’à lui.  Dans le seul but de tromper une attente, par la frénésie du même acte sans cesse recommencé.  Dans la hantise de l’ennui.

Ici l’ennui, c’était comme poser un cadre vide devant les après-midi, et l’accrocher au mur.  C’était vivable.  C’était reproductible.

Celle qui forme ici le fil avec lequel les deux auteures tissent leur récit, c’est une tante.  Chez qui, précisément, on sent l’attente, l’ennui, mais dépouillé du trépignement qui l’habite le plus souvent.  Comme rasséréné.  La tante est un de ces personnages que compte toute famille.  Une tante un peu butée.  Qui tour à tour énerve par sa différence crânement assumée et émeut par ses facéties.  Une tante avec un mari croque-mort, qui ne tricote pas des mots, ou des images, mais des fils teintés.

Toute la force du récit tient dans ces minuscules écarts qu’il tisse dans sa matière même.  Il ne fait que tourner autour, que broder.  On n’incise pas.  On n’exhume jamais.  Emmanuelle Pagano et Claude Rouyer ne prennent que ce qui est là, déjà donné, et l’agencent.  C’est la froideur de deux bras vieux et mouillés posés sur la chaleur duveteuse et bariolée d’un tissu.  C’est un rideau dentelé, presque symbole de la maison de l’âgée qui, posé facétieusement en coiffe sur l’âgée même, devient attribut de la mariée.  C’est une phrase qui tourne autour de son sujet, le contraste par ce qu’il trouve à son chevet, ad minima.  Dans « Le travail de mourir », en minuscules contrastes, dans un dialogue intelligent entre images et textes, où jamais l’un n’illustre l’autre, les deux auteurs nous démontrent qu’à broder avec talent, on en arrive à cependant creuser des sillons.

Et je ne brode pas du fil, je brode des histoires, des rêves, de la mémoire : du petit vent.

Emmanuelle Pagano & Claude Rouyer, Le travail de mourir, 2013, Les inaperçus.

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