Presses du Réel – ptyx http://www.librairie-ptyx.be "Hommes, regardez-vous dans le papier" H.MICHAUX Fri, 07 Dec 2018 08:17:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.9.4 « Gramophone, Film, Typewriter » de Friedrich Kittler. http://www.librairie-ptyx.be/gramophone-film-typewriter-de-friedrich-kittler/ http://www.librairie-ptyx.be/gramophone-film-typewriter-de-friedrich-kittler/#respond Tue, 26 Jun 2018 08:02:11 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=7694

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Certains livres vous arrivent tout neuf entre les mains déjà nimbés d’une très longue et flatteuse histoire. Publié en Allemagne en 1986 (traduit en 1999 en anglais…), Gramophone, Film, Typewriter est tout de suite devenu un classique incontournable, non seulement de l’histoire et de la théorie des médias, mais aussi de la littérature.

Comme son nom l’indique bien, le livre de Friedrich Kittler s’intéresse à ces trois inventions techniques majeures que sont le gramophone, le film et la machine à écrire. Mais, au lieu d’en écrire l’histoire classique et linéaire (qui a inventé quoi à quel moment), l’auteur s’ingénie à mettre des bâtons dans les roues de l’ « histoire à papa » : le gramophone est d’abord un prolongement de l’organe oculaire qui, par après, permet à des « écritures sans sujet » d’émerger ; le film, s’enracinant d’abord dans les paradigmes de l’écrit, lui impose ensuite ses propres schèmes ; la machine à écrire dont on croit qu’elle modifia d’importance les rapports homme-femme, contribua à renforcer les fantasmes qu’on la voyait bien combattre. Chez Kittler, rien n’est simple…

La mécanisation prive les individus de mémoire et met en place une salade de mots qui n’aurait jamais pu être prononcée dans les conditions de monopole de l’écriture. […] avec l’invention d’Edison, l’époque de l’absurde, notre époque, pouvait commencer.

Dans Gramophone, Film, Typewriter, il ne s’agit pas de dresser l’histoire de média, de techniques et des interactions que ceux-ci ont pu avoir avec le réel, mais de faire émerger de celui-ci ce que la technique en a fait et, surtout, de ce qu’elle continue à y modifier.

Les chansons rock chantent directement le pouvoir des média qui les porte.

Alors que nous croyons, prétentieux que nous restons, façonner nos outils médiatiques et techniques, nous oublions combien ceux-ci nous fabriquent. L’oubli tranquille dans lequel nous paissons venant alors lui-même renforcer d’autant la main-mise du média. Et c’est alors jusqu’à l’amour ou le bonheur – et non plus seulement l’idée que l’on s’en fait – dont les modes opératoires viennent à dépendre des médias qui prétendaient juste l’exprimer.

Le bonheur des média est la négation de leurs dispositifs matériels.

Dans cette oeuvre capitale, dont le procédé formel est aussi original que ce dont il témoigne (raison pour laquelle le même livre est appelé « roman » dans sa version anglophone), c’est à un véritable travail de sape aussi subtil que radical auquel se livre l’auteur. Travail de sape dont l’image que renvoient de nous les objets que nous croyons ne faire que fabriquer ressort profondément bouleversée. Travail de sape qui bat en brèche le monde romantique de l’omnipotence de l’écrit dans lequel nous nous plaisons à croire reposer encore. Un travail de sape qui désenchante, donc. Qui nous extirpe de l’émerveillement dans lequel le média technique nous maintient.

Le concept nietzschéen d’inscription, tombé aujourd’hui au rang de métaphore fourre-tout dans la philosophie post-structuraliste […] désigne le tournant atteint lorsque les techniques de communication ne peuvent plus être rapportées aux êtres humains parce qu’elles ont elles-mêmes, tout à fait à l’inverse, façonné les êtres humains.

Friedrich Kittler, Gramophone, Film, Typewriter, 2018, Presses du Réel, trad. Frédérique Vargoz.

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« Ma vie » de Lyn Hejinian. http://www.librairie-ptyx.be/ma-vie-de-lyn-hejinian/ http://www.librairie-ptyx.be/ma-vie-de-lyn-hejinian/#respond Thu, 15 Dec 2016 08:43:36 +0000 http://www.librairie-ptyx.be/?p=6439

Continue reading]]> Ma vieUne pause, une rose, une chose sur du papier.

Ma vie, publié dans cette version originale-là pour la première fois en 1987, est composé de 45 chapitres (ou paragraphes, chaque chapitre en formant un et un seul) de 45 phrases chacun. Chaque chapitre est « nommé » d’une phrase que l’on retrouve reprise dans un autre chapitre. L’ensemble est censé, comme son titre y invite – et ce d’autant qu’il n’est pas fait mystère que le texte en question fut achevé lorsque l’auteure eut 45 ans -, être une transcription de la vie de son auteure. Tous ceux, cependant, qui s’y plongeront avec le désir d’y retrouver une classique autofiction ou un journal traditionnel, détaillant les heurts et malheurs d’une femme de 45 ans en seront pour leurs frais.

Quant à nous qui aimons être surpris.

Dans la « droite ligne » du nouveau rôle que le mouvement L=A=N=G=U=A=G=E se proposait de donner à la phrase – dont une conférence, dénommée The New Sentence, donnée par Ron Silliman en 1979, se voulait l’expression -, Lyn Hejinian conçoit celle-ci comme la matière première de son écriture. Ce ne sont plus la syllabe, le vers, le paragraphe ou le phonème qui viennent former la trame essentielle du discours poétique mais bien la phrase.

Seuls les fragments sont fidèles. Décompose-le en mots isolés, impute-les à la combinatoire.

Chacune forme un bloc signifiant à elle seule. Placée, comme malgré elle, dans une suite – celle de la page, du paragraphe, du livre, etc… -, elle ne se résume pas à une fonction dans un ensemble qui la subsumerait, ni même ne le sert. Chacune n’amène plus vers une autre, ni ne découle d’une précédente, dont la suite formerait seule sens.

Dans une certaine mesure chaque phrase doit être toute l’histoire.

Ma vie, donc, se présente bien comme une suite de phrases. Et exige dès lors du lecteur de rompre avec cette habitude qu’il avait construite de se fier à un fil. Qu’il suivait de phrases en phrases, leur concaténation se chargeant de l’amener quelque part. Ici, à chaque point, doit être rigoureusement éliminée de l’esprit du lecteur toute la charge signifiante de la phrase qui le précède avant que ce dernier ne se confie à celle qui le suit. Au lieu d’être aux aguets de ce qui suit ou de se remémorer ce qui précède, il lui est demandé de conserver une concentration intacte à chaque phrase. Chaque point est une table rase.

Quel souvenir n’est pas une pensée saisissante.

Mais – et c’est en ce sens que cette New Sentence est utile à une nouvelle poétique -, ce procédé brisant le rôle traditionnellement dévolu à la phrase ne se limite pas à créer une jolie collection de phrases. En rompant d’avec sa simple finalité discursive, Lyn Hejinian investit la phrase de celle dévolue au vers. Par la répétition, par le contraste, en variant ses longueurs, en chargeant certaines de détailler divers aspects du processus qui les voit naître, elle construit un espace où le lecteur, d’abord désorienté, se construit ses repères pas à pas. Pour y découvrir l’une des expressions poétiques les plus innovantes et les plus radicalement émouvantes de l’époque contemporaine.

L’évidente analogie est avec la musique qui se propage au-delà de l’espace qu’occupe le motif.

Lyn Hejinian, Ma vie, 2016, Les Presses du Réel (coll. Motion Method Memory), trad. Abigail Lang, Maïtreyi & Nicolas Pesquès.

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